Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 32 - 12 juin 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les agriculteurs craignent davantage l’OMC que le réchauffement climatique

Il est très difficile d’adapter la production agricole aux changements climatiques

Christopher Bryant

Après les déluges du mois de mai, Environnement Canada prévoit un été chaud et sec! Pas facile de savoir à quel saint se vouer lorsqu’on est agriculteur et qu’on veut planifier le type de culture à produire.

«Au milieu des années 90, nous pensions que les agriculteurs s’adapteraient de façon linéaire aux changements climatiques en adoptant les cultures qui bénéficient de ces changements. Mais ils cherchent plutôt à contrer les effets immédiats du réchauffement et regardent ce qui se passe chez les concurrents», affirme Christopher Bryant, professeur au Département de géographie.

Depuis 1995, le professeur Bryant et ses collègues Bhawan Singh et Pierre André mènent une vaste étude sur l’adaptation aux changements climatiques chez les agriculteurs du Québec. Au fil des ans, ils ont amassé une somme imposante de données relatives aux effets positifs ou négatifs des changements climatiques sur chaque culture et selon les régions, aux motifs des réclamations auprès des assureurs, aux avis des experts gouvernementaux ou industriels pour ce qui est des meilleures stratégies à mettre en œuvre et, bien sûr, aux attitudes, opinions et comportements des agriculteurs eux-mêmes.

Beau temps, mauvais temps

Les données de La Financière agricole, une compagnie d’assurance qui couvre les pertes agricoles liées aux intempéries et aux maladies, montrent que l’excès de pluie est une cause tout aussi majeure de pertes que la sècheresse. Entre 1982 et 2001 et pour l’ensemble des cultures, 14% des pertes étaient attribuables à trop de pluie et 15% à la sècheresse. Si l’on combine ces deux éléments avec d’autres facteurs secondaires de même nature, comme l’excès de chaleur et des pluies abondantes, on arrive à 22% de dommages dus au surcroit de précipitations et 24% causés par la chaleur.

«Il semblerait qu’une situation de sècheresse amène presque toujours une situation d’excès d’eau à l’intérieur d’une même saison ou durant la prochaine saison», écrivent les chercheurs dans un rapport. C’est exactement ce qui semble se dessiner pour cette année.

Cette alternance peut aussi s’observer au cours de deux années consécutives; en 2001, près de 16 000 hectares de terres agricoles ont été endommagés par la sècheresse tandis que, l’année précédente, c’était plus de 115 000 hectares qui étaient ravagés par des pluies soutenues.

L’année 2000 a en fait été une année noire pour La Financière agricole, qui a dû verser 127 M$ en indemnités aux agriculteurs (toutes cultures confondues), alors que la moyenne annuelle est de 27 M$. La cause: El Niña, qui a apporté un été froid et de fortes précipitations.

Bonheur des uns et malheur des autres

Les pertes agricoles varient non seulement selon les années, mais aussi selon les cultures et les régions. Toujours pour l’année 2000, la culture du maïs-grain (destiné à d’autres usages que la consommation humaine) est celle qui a été la plus touchée et elle a représenté 76% des réclamations.

«Le maïs-grain bénéficie d’une hausse des températures, mais il est très sensible aux gels tardifs du printemps, aux gels hâtifs de l’automne et aux pluies abondantes», explique Serge Desroches, agent de recherche au Département de géographie.

Le malheur des uns peut aussi faire le bonheur des autres; si les pluies torrentielles font damner les producteurs de maïs, elles ravissent les producteurs de canneberges. Et si les agriculteurs du sud-ouest de Montréal craignent les fortes neiges, ceux du Lac-Saint-Jean appréhendent le manque de neige, qui risque de faire geler les plans de bleuets.

Le réchauffement climatique serait profitable à la culture du maïs dans des zones plus froides comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean, mais les producteurs de ce coin de pays ne sont pas nécessairement portés à se ruer sur cette culture. «Dans chaque région, les agriculteurs veulent aussi savoir ce qu’il va arriver ailleurs sur le continent afin d’avoir une idée de la concurrence, précise Christopher Bryant. Le réchauffement peut être perçu comme une bonne chose s’il entraine un manque de pluie dans d’autres régions et que le prix des produits agricoles augmente.»

Les producteurs québécois ont plus tendance que ceux des autres provinces à voir les choses ainsi; 47% d’entre eux considèrent que les changements climatiques auront un effet positif sur leur travail. Plus les recettes sont élevées, plus l’agriculteur pense de la sorte.

Interventions directes et OMC

Le premier réflexe des agriculteurs est de chercher à limiter les répercussions immédiates des changements climatiques. Par exemple, ils vont améliorer le drainage des terres, aménager des bassins de rétention d’eau, rechercher des cultivars mieux adaptés, etc. Ce n’est qu’en dernier recours qu’ils opteront pour un changement ou une diversification des cultures.

En fait, les agriculteurs du Québec redoutent davantage les changements de politiques commerciales décrétés par des organismes comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) que les changements climatiques! À la question «Est-ce que les modifications dans les politiques agricoles nationales et internationales sont plus importantes que les changements climatiques?», près de 60% des agriculteurs du Centre-du-Québec, près de 80% de ceux du Lac-Saint-Jean et 100% de ceux du sud-ouest de Montréal ont répondu oui!

L’avis des professionnels est toutefois beaucoup plus nuancé: moins de 40% de ceux qui travaillent dans le sud-ouest de Montréal et seulement 20% de ceux qui sont au Saguenay–Lac-Saint-Jean répondent oui à cette question. Le même fossé séparent agriculteurs et professionnels lorsqu’il s’agit d’évaluer l’adaptation des fermes aux changements climatiques prévus: les exploitants s’affichent beaucoup plus optimistes que les professionnels, qui ont une vision d’ensemble.

«La perception du risque diffère donc selon qu’on est agriculteur ou professionnel», en conclut Christopher Bryant. Une distinction qui reflète sans doute des préoccupations différentes.

Daniel Baril

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