Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numéro 4 - 19 septembre 2005
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 Archives de Forum

La Chine retourne aux sources

La période maoïste aura été une «aberration» dans l’histoire de la civilisation chinoise

Les changements qui ont cours en Chine auront une résonance en Occident et ce n’est pas un hasard si les yeux de plusieurs universitaires se tournent vers ce pays.

On se demande souvent comment un pays tel que la Chine, après un demi-siècle de communisme rigide et centralisateur, a pu en moins d’une décennie opérer un virage à 180° qui l’a conduite à une économie de marché.

Pour Taïeb Hafsi, professeur à HEC Montréal, le virage a été amorcé dès le début des années 70 par Deng Xiaoping, le compagnon d’armes de Mao. «Dès cette époque, il était clair pour Deng Xiaoping que le système centralisé ne fonctionnait pas et il a résolu de revenir aux sources de la tradition chinoise, souligne le professeur. La période maoïste aura été une brève aberration dans l’histoire de la civilisation chinoise.»

Et si tout semble bien se passer, c’est d’abord et avant tout parce que les Chinois sont pragmatiques. C’est la thèse que le professeur Hafsi a soutenue le 8 septembre à la première des 12 conférences du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM) sur la montée de la Chine.

Retour aux sources

Traditionnellement, la société chinoise a toujours respecté l’empereur, qui se présentait comme un demi-dieu. Mais l’État central ne se préoccupait alors que de récolter les impôts et d’assurer la sécurité. «Dans les régions, chacun devait se débrouiller comme il le pouvait et la gérance était confiée à des barons locaux, a relaté le conférencier. Le développement de la technologie et la recherche de solutions aux problèmes locaux étaient laissés aux régions.»

Ce n’est qu’avec la révolution maoïste, facilitée par l’absence de soutien populaire au régime corrompu de Chiang Kai-shek, que les diverses régions de la Chine – pour ainsi dire 30 pays différents – ont vraiment été unifiées sous un État central fort. Après la révolution, le revenu national a crû de 9% par année et la production agricole a augmenté de 4% annuellement. Mais les «catastrophes» du Grand Bond en avant et de la Révolution culturelle ont par la suite fait chuter le PIB de plus de 30%.

Dès les années 70, Deng Xiaoping a manifesté les premiers signes de divergence. Selon le professeur Hafsi, sa politique renouait en fait avec l’approche traditionnelle chinoise: respect de l’État et de l’ordre, décentralisation des organes de décision, place à l’expérimentation locale et fin des dogmes collectivistes. À l’inverse des acteurs de la Révolution culturelle qui clamaient «mieux vaut un train socialiste en retard qu’un train capitaliste à l’heure», Deng Xiaoping disait que «peu importe qu’un chat soit blanc ou noir pourvu qu’il attrape les souris».

C’est ce sens pratique qui l’a finalement emporté et qui a guidé les réformes des 20 dernières années. Pour Taïeb Hafsi, si le virage marque une rupture avec l’épisode maoïste, il ne représente pas une transformation radicale de la société chinoise. «Cette approche était déjà inscrite dans les structures cognitives des Chinois», affirme-t-il.

La façon chinoise

Même si les marchés occidentaux avaient intérêt à ce que la Chine ouvre ses portes, le virage s’est effectué essentiellement pour régler les problèmes internes de développement et non pour répondre à des pressions extérieures, ajoute le professeur, qui se dit impressionné par la façon dont les Chinois réussissent à gérer des situations complexes.

M. Hafsi illustre son propos avec l’exemple de l’électricité. En 1980, la Chine ne comptait qu’une seule compagnie d’électricité, une entreprise d’État qui ne parvenait plus à répondre aux besoins technologiques. En 2000, on dénombrait dans le pays 4000 compagnies autonomes engagées dans la production, la distribution et la vente d’électricité. Vingt d’entre elles possédaient des actions sur les marchés boursiers internationaux. Dans les années 90, la capacité d’achat des individus est passée de 1000 à 6000$ par habitant. Ce sont maintenant les questions pratiques plutôt qu’idéologiques qui guident le développement économique et les débats ne sont pas différents de ceux qui ont cours dans les pays développés.

Dans leur sagesse proverbiale, les dirigeants chinois ne disent pas qu’ils ont instauré une économie capitaliste; ils disent plutôt «Nous sommes chinois et nous faisons les choses à notre manière: nous avons conçu une économie de marché socialiste»!

L’envers de la médaille

Le capitalisme a toutefois des effets dévastateurs sur certaines couches de la population, reconnait Taïeb Hafsi. Le fait de voir que certains peuvent s’enrichir et d’autres non ainsi que le manque d’encadrement auraient même un impact sur la santé mentale de plusieurs personnes qui sont laissées sans soins adéquats.

Mais plus inquiétant encore est le besoin énergétique engendré par l’essor industriel. «La croissance industrielle de la Chine s’est située autour de 20% au cours des 10 dernières années et, si la tendance se maintient, le pays consommera 70% de la production mondiale de pétrole en 2015.» Mais la Chine n’a pas accès à de telles ressources et, dans l’histoire de l’humanité, ce genre de problème s’est traditionnellement réglé par des guerres.

«Le problème des ressources est un problème posé à l’ensemble de l’humanité», indique Taïeb Hafsi.

Titulaire de la Chaire de management stratégique internationale Walter-J.-Somers et coordonnateur du Groupe de recherche en stratégie des organisations Strategos, Taïeb Hafsi donne des cours de management en Chine. C’est son domaine de spécialisation, soit la gestion en situation de complexité, qui l’a amené à s’intéresser à ce pays.

L’information sur la série de conférences du CERIUM est accessible sur le site du Centre au <www.cerium.ca/>.

Daniel Baril

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