Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numéro 4 - 19 septembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les vétérinaires sont affligés par le deuil

La pratique de l’euthanasie est courante dans la vie des vétérinaires. Mais ils ne sont pas préparés à cet aspect de leur travail

«Docteur, veuillez tuer mon chat.»

La pratique de l’euthanasie est courante dans la vie des vétérinaires. Mais ils ne sont pas préparés à cet aspect de leur travail.

C’est l’amour des bêtes qui conduit les vétérinaires à choisir leur profession. Toutefois, une de leurs principales interventions lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail consiste à euthanasier des chiens et des chats en pleine santé. «C’est très éprouvant pour eux. Ils ont été formés pour prodiguer des soins aux animaux malades, mais ils doivent souvent les aider à mourir», signale Anne-Marie Lamothe.

Mme Lamothe vient de déposer une thèse de doctorat sur le deuil chez les vétérinaires au Département de psychologie. Un sujet méconnu et totalement ignoré jusque-là dans la littérature scientifique. «Il existe plusieurs études sur le deuil des personnes à la suite de la perte de leur animal favori, mais aucune, à notre connaissance, n’a porté sur les émotions vécues par les vétérinaires», explique cette clinicienne qui travaille, entre autres, auprès des jeunes et des adultes toxicomanes à Mascouche, au nord de Montréal.

Les émotions des vétérinaires à l’égard de la mort des animaux peuvent être dévastatrices. Sur la quarantaine de «Drs Doolittle» qui ont collaboré directement ou non avec la chercheuse, plusieurs ont éclaté en sanglots au cours des entrevues qu’elle a menées, et quatre ont même confié qu’ils avaient pensé au suicide dans les premières années de leur pratique.

Les vétérinaires seraient-ils sujets à la dépression? «Nous ne possédons pas de statistiques sur cette question au Québec. Mais on sait qu’aux États-Unis le burnout, le suicide et la dépression guettent les vétérinaires plus que la population en général», affirme Mme Lamothe.

Culpabilité, tristesse, impuissance

Dans sa recherche, elle a sélectionné 30 vétérinaires québécois dont la pratique était concentrée sur les animaux de compagnie. Chaque entrevue, d’une durée de 90 à 120 minutes, comportait 94 questions dont certaines très ouvertes, par exemple «Comment vous sentez-vous après une euthanasie difficile?» Dans l’analyse de contenu, les émotions stimulantes liées à la pratique (sentiment de compétence, le fait de se sentir apprécié) ont été prises en considération autant que les accablantes: culpabilité, tristesse, impuissance.

Même si le mot «deuil» n’était jamais prononcé par l’étudiante, il est apparu évident qu’il décrivait le mieux la situation vécue par les professionnels. «Les vétérinaires vivent des réactions émotionnelles qui s’apparentent au deuil vécu lorsqu’on perd un être cher, conclut Anne-Marie Lamothe dans sa thèse. Le deuil vétérinaire n’est habituellement pas causé par la mort d’une bête en particulier, mais résulte plutôt des nombreuses pertes qui touchent le vétérinaire.»

Différents scénarios de mort animale provoquent le «deuil vétérinaire», mais le plus malaisé à vivre est sans doute celui où il faut écourter la vie pour des motifs injustifiés. Ainsi, des gens n’hésitent pas à faire tuer leur chien parce que sa couleur ne s’harmonise pas avec le nouveau mobilier de salon...

Heureusement, les techniques de mise à mort se sont quelque peu «humanisées» au cours des dernières années. Un vétérinaire d’expérience a avoué n’avoir jamais oublié sa première euthanasie, par injection intracardiaque. «Ce fut très violent. Les chats braillaient. Ma première euthanasie a été une mauvaise expérience», s’est-il exclamé.

La première est souvent l’une des plus traumatisantes, car les jeunes qui la pratiquent constatent avec effroi qu’ils répèteront cette intervention plus souvent qu’à leur tour. «C’est souvent à eux qu’on demande de procéder aux euthanasies. Ils ne sont pas préparés à ça», déplore Mme Lamothe.

Selon la diplômée en psychologie, qui est déjà sollicitée pour donner des conférences sur la question à la Faculté de médecine vétérinaire, la formation des étudiants comporte des lacunes. «Les vétérinaires doivent suivre un cours en psychologie afin de savoir comment interagir avec leurs clients. Mais un seul cours en cinq ans, est-ce suffisant? On nous répond que la formation est déjà si dense que l’ajout de cours de sciences humaines ne serait pas très apprécié des étudiants. Peut-être, mais ils vivront des situations difficiles après l’université.»

En fait, le vétérinaire passe beaucoup plus de temps avec des êtres humains qu’avec des animaux. Les hommes et les femmes, sans parler des familles entières, qui se présentent avec leur animal blessé ou malade dans leurs bras sont très souvent affectés émotivement. Le vétérinaire devient, malgré lui, un spécialiste de la relation d’aide, voire un thérapeute autodidacte.

Le fait d’être confronté à la mort est généralement une étape existentielle troublante. Dans la thèse d’Anne-Marie Lamothe, on peut lire que «le passage de la vie à la mort est une situation dont le vétérinaire est souvent témoin au travail. Il doit accepter le choc que cela produit pour lui-même en plus de le percevoir jour après jour dans les yeux de ses clients. Parfois les clients sont témoins de ce passage entre la vie et la mort pour la première fois dans le bureau du vétérinaire.»

Des vétérinaires ont rapporté des gestes hostiles, voire violents, de la part de leurs clients. Comme s’ils étaient responsables de la mort de leur bête. D’autres ont été harcelés au téléphone par des propriétaires éplorés et inconsolables. Ces raisons expliqueraient peut-être la désaffection pour le métier de nombreux vétérinaires, qui choisissent de consacrer la suite de leur carrière à la recherche ou d’occuper des emplois connexes. «Encore là, il est difficile d’obtenir des chiffres sur cette question, mais plusieurs personnes interviewées nous ont parlé de ce détachement parmi d’anciens collègues.»

Conflit de valeurs

Pour éviter de devenir des abattoirs d’animaux domestiques, certains cabinets en milieu urbain refusent de pratiquer les euthanasies. Les vétérinaires considèrent que cet acte n’est pas un service médical. Toutefois, pour des raisons éthiques, d’autres ont une approche diamétralement opposée. Selon ces derniers, l’euthanasie sur demande est un bon moyen d’empêcher la propagation d’animaux errants ou maltraités.

Il est vrai que la responsabilité du contrôle des populations animales incombe en partie aux médecins vétérinaires. Mais il est difficile de laisser sa sensibilité au vestiaire. «Il y a aussi la logique marchande, reprend la psychologue. Si vous refusez d’effectuer des euthanasies, votre client risque d’aller frapper à la porte de votre compétiteur qui, lui, offre toute la gamme des services.»

En bonne psychologue, Anne-Marie Lamothe suggère aux vétérinaires de multiplier les occasions d’exprimer leurs malaises quant à cette question du deuil. Mais ce n’est pas toujours facile; en effet, comme dans toute profession libérale, les vétérinaires sont en compétition les uns avec les autres. Ils n’ont donc pas toujours le réflexe de partager entre eux les moments difficiles.

«Les questions soulevées par cette thèse touchent des milliers d’individus qui ont choisi cette profession par amour des animaux et de la vie, écrit Anne-Marie Lamothe. Chaque fois qu’une bête souffre et meurt, chaque fois que le vétérinaire sauve un de ces êtres si précieux aux yeux de son propriétaire, il accomplit un grand geste. Chaque geste porte une charge émotionnelle et il est important que les vétérinaires mobilisent leurs efforts pour le vivre le mieux possible.»

Mathieu-Robert Sauvé

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