Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 5 - 26 septembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Haut taux de divorce chez... les oiseaux

Frédérique Dubois relie écologie comportementale et biologie moléculaire

«En ornithologie, la monogamie s’explique par les soins biparentaux. Comme les deux parents sont généralement nécessaires pour l’incubation jusqu’à l’éclosion des œufs, l’évolution a favorisé les couples qui s’entraidaient.»

Chez les oiseaux monogames, les deux tiers des espèces commettent des infidélités. Le drame se déroule, par exemple, alors que le mâle couve. La femelle voit s’ébattre à quelques mètres du nid conjugal un volatile coloré, énergique et plutôt bon chanteur. C’est le coup de foudre. Sans un regard en arrière, elle abandonne le père et ses œufs et s’envole en gazouillant avec le nouveau partenaire.

Le «divorce» chez les oiseaux est un phénomène bien documenté en sciences biologiques. Mais quelles sont les raisons qui poussent les femelles à briser les cœurs? C’est ce que tentera de savoir au cours des prochains mois la biologiste Frédérique Dubois, dont l’équipe de recherche observera des couples de diamants mandarins, un petit oiseau australien reconnu pour son caractère monogame... mais qui n’est pas à l’abri de l’infidélité.

«Nous allons expérimenter, notamment, le succès de la reproduction comme facteur de rupture, explique cette spécialiste française arrivée au Québec en 2001 et engagée par l’Université de Montréal l’an dernier. Par exemple, nous allons confisquer des œufs dans un nid afin d’étudier le comportement de la mère. Si elle délaisse son partenaire parce que la quantité d’œufs n’est pas satisfaisante, alors nous aurons une partie de la réponse.»

L’ornithologue n’hésite pas à emprunter des termes propres aux amours humaines pour définir les liens entre mâles et femelles à plumes. Un choix qu’elle défend puisqu’il possède de profondes racines scientifiques. «Un changement de partenaire n’est considéré comme un divorce que lorsqu’au moins l’un des deux membres du couple se reproduit avec un nouveau partenaire alors que les deux sont encore en vie et présents dans la population», écrit-elle dans un résumé de sa recherche en se référant à un pionnier en la matière, Choudhury.

Il faut savoir que la monogamie chez les oiseaux n’est pas une excentricité de la nature. «En ornithologie, la monogamie s’explique par les soins biparentaux, reprend la professeure Dubois. Comme les deux parents sont généralement nécessaires pour l’incubation jusqu’à l’éclosion des œufs, l’évolution a favorisé les couples qui s’entraidaient. Chez les mammifères, la présence des deux parents n’est pas aussi indispensable, c’est pourquoi la monogamie est beaucoup plus rare.»

Mais la sélection sexuelle, voulant que les femelles soient attirées par les meilleurs géniteurs disponibles dans une population, peut venir brouiller les cartes. En s’accouplant avec les mâles les plus colorés, les plus puissants et les plus mélodieux, les femelles renforcent l’espèce pour les générations ultérieures. L’infidélité aurait donc des assises scientifiques jusque dans la théorie de Charles Darwin.

Monogamie saisonnière

Si certains oiseaux sont peu fidèles (le flamand rose, le héron cendré et le canard colvert sont de véritables donjuans ailés), d’autres comme l’oie des neiges et l’albatros semblent au contraire liés à la vie à la mort à leur partenaire. «Les variations correspondent aux mœurs de reproduction, précise la biologiste. Les espèces dont les nids restent en place pendant plusieurs années ont tendance à être plus fidèles. Comme les individus retrouvent leur site de nidification après leur migration annuelle, ils retrouvent aussi leur partenaire.»

Ce phénomène vaut pour des espèces comme la mouette tridactyle et le fou de Bassan, qui nichent le long de falaises escarpées dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent. Mais leur «fidélité» serait davantage une question de commodité que de mœurs. D’ailleurs, des chercheurs ont constaté que, si l’on comble les nids creusés dans un escarpement par une colonie d’hirondelles des fenêtres, les couples jusque-là fidèles ne résistent pas au changement. «Aucun couple ne survit à l’expérience, relate Mme Dubois. En cherchant un nouvel endroit pour couver, les hirondelles se trouvent de nouveaux partenaires.»

En outre, la turpitude du flamand rose pourrait s’expliquer par le fait que les nids de cet échassier sont très souvent emportés par les eaux. Les couples ne peuvent donc presque jamais se reconstituer.

Ceci dit, il existe de grandes variations de comportements à l’intérieur d’une même espèce et cet aspect de la question est beaucoup plus obscur. Certains couples peuvent s’entêter à demeurer fidèles alors que d’autres seraient volontiers plus volages. Comment ces variations intraspécifiques se manifestent-elles et comment servent-elles l’espèce? C’est précisément ce qui a intéressé Frédérique Dubois au cours de ses recherches de doctorat menées en 2000 à l’Université de Lyon. Elle compte plusieurs articles publiés sur ce sujet dans des revues savantes.

Biologie moléculaire

Pour la jeune professeure qui enseigne l’éthologie (étude du comportement animal) et l’ornithologie aux étudiants du baccalauréat en sciences biologiques, l’apport de la biologie moléculaire est incontournable. «On peut bien sûr observer le comportement des oiseaux en laboratoire. Mais il est désormais indispensable d’analyser les phénotypes des oisillons afin de les comparer avec ceux de leurs parents. On peut confirmer alors s’il y a eu infidélité.»

Dès l’hiver 2006, son équipe disposera, à l’intérieur du pavillon Marie-Victorin, d’une volière où s’ébattront jusqu’à 20 couples de diamants mandarins. Leurs comportements matrimoniaux seront scrutés par des chercheurs attentifs. Au moins trois projets de maitrise et de doctorat traiteront des volatiles volages.

À long terme, le programme de recherche de Frédérique Dubois a pour objectif de comprendre l’origine et le maintien de la monogamie chez les oiseaux. Mais à court terme, elle souhaite cerner les déterminants du succès reproducteur dans le choix de la monogamie, mieux comprendre les conditions dans lesquelles les femelles modifient leur choix de partenaire et éprouver les liens qui unissent les partenaires en testant leur capacité à coopérer.

Pour mener ses travaux, Frédérique Dubois a obtenu du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada des subventions de 18 500$ pour l’achat de matériel et de près de 100 000$ pour financer ses travaux au cours des cinq prochaines années.

Mathieu-Robert Sauvé

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