Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 6 - 3 octobre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Luís de Moura Sobral découvre 12 toiles de Quillard

Le chercheur montréalais rend sa découverte publique à Paris et Lisbonne

En visitant la petite cathédrale d’Aveiro, le chercheur ne se doutait pas qu’il s’apprêtait à faire une découverte étonnante.

À la fin des années 90, Luís de Moura Sobral, professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de la Faculté des arts et des sciences, a découvert 12 toiles du peintre Pierre-Antoine Quillard (1701-1733) dans la petite cathédrale de la ville portugaise d’Aveiro, ancien couvent de São Domingos.

Les œuvres, créées vers 1730, y sont vraisemblablement présentes depuis le jour de leur installation. Mesurant environ 1,20 m sur 1,30 m chacune, elles ornent les dossiers des stalles du chœur, en deux rangées qui se font face, et elles représentent 8 femmes et 14 hommes. «Il s’agit en fait du panthéon de l’ordre de saint Dominique de l’époque, presque au grand complet», décrit le spécialiste de la peinture baroque portugaise qui a rendu sa découverte publique au printemps à l’Institut national d’histoire de l’art de Paris. C’est à l’Université même qu’il exposera le fruit de ses recherches, au cours d’une conférence publique cet automne.

«Il y a des choses qu’on trouve parce qu’on les cherche et il y a des choses qui nous trouvent, commente le professeur de Moura Sobral. À ma connaissance, ces tableaux n’ont jamais été reproduits, étudiés ou attribués auparavant.»

D’abord frappé par la qualité des œuvres, par leur style et par leur datation ne correspondant pas à ce qui se faisait au Portugal au début du 18e siècle, M. de Moura Sobral a décidé de se pencher plus sérieusement sur l’affaire. Parcourant la littérature spécialisée, il n’a trouvé qu’une seule ligne dans un inventaire artistique faisant mention de ces peintures, sans attribution et sans désignation des figures. «Ce silence a été intrigant dès le départ; il n’y avait pas de travaux, rien», relate le chercheur qui travaille actuellement à un projet de chaire sur la culture portugaise.

Au fil du regroupement des données, l’attribution au peintre français s’est imposée comme une évidence: puisque les peintures se trouvent dans un lieu de culte, elles sont d’abord des objets de dévotion, mais leurs visées sont aussi clairement propagandistes. Pour tout ordre religieux, il y a un intérêt politique manifeste à faire béatifier ou canoniser ses membres, et tout porte à croire que ces toiles sont à considérer en tant que célébration prestigieuse de l’ordre de saint Dominique.

La première peinture de la première rangée, à droite, représente la fille du roi Alphonse V, dite Santa Joana (15e siècle), et c’est vraisemblablement autour de cette dernière que le cycle s’est élaboré. Trois couronnes sont posées à ses pieds; au terme de négociations ratées pour un mariage avec le frère de Louis XI, elle refusa la couronne ducale. La princesse fut béatifiée en 1693, après avoir passé le plus clair de sa vie au couvent dominicain d’Aveiro, en face de l’actuelle cathédrale.

L’attribution à Quillard

«La clé de l’énigme se trouve du côté des commanditaires des œuvres», affirme avec conviction M. de Moura Sobral. L’hypothèse proposée est que la commande est venue des ducs d’Aveiro, dont on est déjà certain par des documents d’archives que la collection comptait un certain nombre de tableaux de Pierre-Antoine Quillard. Gabriel de Lancastre, septième duc d’Aveiro, était un descendant direct de la princesse Joana, et le fait que ce dernier a manifesté le souhait d’être inhumé tout près de son aïeule était déjà une piste sérieuse.

Pierre-Antoine Quillard, décédé prématurément à l’âge de 32 ans, a remporté un immense succès à la cour du Portugal. Il fut l’élève et possiblement l’assistant d’Antoine Watteau. Arrivé au Portugal en 1726 pour dessiner des planches botaniques à titre d’accompagnateur d’un naturaliste suisse, il sera nommé peintre du roi dès 1727, déployant jusqu’à sa mort une activité soutenue de dessinateur, graveur, décorateur, peintre d’histoire et de portraits.

En comparant les caractéristiques des tableaux de la cathédrale avec celles d’autres toiles du peintre, on reconnait des détails de son style qui laissent peu de place au doute: «La souplesse du dessin, la rondeur des visages, l’élégance du port de tête, un certain petit menton, un certain sourire…»

L’importance de la découverte

L’importance de l’attribution de cette série à Pierre-Antoine Quillard a évidemment des conséquences sur plusieurs plans. Jusqu’ici, on connaissait surtout ses dessins et ses «fêtes galantes», thème cher à Watteau, dans une manière rappelant fort ce dernier. C’est d’ailleurs Quillard qui a introduit ce thème au Portugal. Douze tableaux qui s’ajoutent à l’œuvre d’un peintre mort aussi jeune, voilà qui est majeur, tant pour l’idée qu’on se faisait de sa production que pour l’histoire de la peinture française en général. La découverte est notable aussi pour la peinture portugaise, qui révèle ainsi avoir assimilé par ricochet certaines influences françaises.

Nathalie Guimond
Collaboration spéciale

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