Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 6 - 3 octobre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Souffrir, ça fait plus mal quand on y pense

Michael Sullivan étudie les effets de la pensée catastrophique sur la douleur. L’anxiété peut intensifier la souffrance.

«Les souffrances que les douleurs neuropathiques engendrent démoralisent les patients parce qu’elles sont très difficiles à traiter, rapporte le professeur Sullivan. Les médicaments prescrits contre ce type de douleurs, des opiacés comme la morphine, ont peu d’effets et entrainent souvent des effets secondaires.»

Les gens qui ont une pensée catastrophique supportent-ils moins bien la souffrance causée par des douleurs neuropathiques que d’autres personnes aux prises avec des problèmes similaires?

C’est la question à laquelle a voulu répondre Michael Sullivan dans une étude dont les résultats ont été publiés récemment dans la revue Pain. «Le patient avec une pensée catastrophique risque davantage de développer une condition de douleur chronique que celui qui a une attitude positive face à sa maladie, affirme le professeur du Département de psychologie. Je l’ai moi-même constaté dans un centre de la douleur où je travaillais, à Ottawa. J’ai voulu savoir pourquoi.»

La pensée catastrophique est une orientation psychologique où la personne a tendance à porter toute son attention sur les symptômes de la douleur et à en amplifier la menace, explique M. Sullivan. Pour évaluer l’effet de cet état d’esprit sur la douleur, il a effectué avec deux collègues d’Halifax, Mary Lynch et A. Clark, des tests expérimentaux auprès de 80 volontaires. Ces sujets, âgés de 50 ans et plus, souffraient tous de douleurs neuropathiques survenues à la suite d’une chirurgie ou de maladies comme le diabète et l’herpès.

Répartis en trois groupes de façon aléatoire, ils ont accepté de prêter leur avant-bras à la science pour qu’on y réalise un test tactile à l’aide d’un morceau de tissu doux. L’expérience comprenait aussi un test sanguin. Pour chaque situation, les sujets évaluaient l’acuité de la douleur ressentie sur une échelle de 0 à 10, ce dernier chiffre étant associé à la pire douleur imaginable. «L’analyse des données révèle un effet significatif de la pensée catastrophique sur l’intensité de la douleur, indique Michael Sullivan. Dans des conditions identiques, la douleur est évaluée 15% plus faible par les gens qui ont une attitude plus positive quant à leur maladie.»

À la lumière de ces résultats, Michael Sullivan a conçu une série de nouvelles approches psychologiques afin de réduire notamment l’anxiété et le sentiment d’impuissance perçus par les patients qui ont une pensée catastrophique. «Lorsqu’on a mal à un pied ou à une main, c’est d’abord dans la tête que la douleur est ressentie, rappelle-t-il. Et, évidemment, cela fait encore plus mal quand on y pense.»

Un bain d’eau froide

Bien sûr, le seuil de tolérance à la douleur varie d’une personne à l’autre. Même l’individu le plus tolérant souffrira à un moment ou à un autre dans sa vie de douleurs chroniques, selon les statistiques. Il s’agit de la deuxième cause de suicide chez les gens âgés.

Pour déterminer si une personne a tendance à exagérer son mal, Michael Sullivan utilise de bonnes vieilles méthodes scientifiques. Il évalue l’état d’esprit des individus au moyen d’un questionnaire – le PCS ou Pain Catastrophizing Scale – qui permet de déceler à l’aide de différentes dimensions psychologiques le niveau de pensée catastrophique du sujet. Cet outil qu’il a créé alors qu’il terminait son doctorat est aujourd’hui utilisé partout dans le monde par de nombreux chercheurs.

Aussi, grâce à des appareils vidéo et à un bassin d’eau thermique, Michael Sullivan peut observer le comportement de ses sujets en laboratoire. Il peut ainsi comparer les effets de la pensée catastrophique sur une douleur induite expérimentalement par une stimulation thermique froide (immersion de la main dans un bain d’eau maintenue à deux degrés Celsius). Résultat? Les personnes avec une pensée catastrophique tolèrent visiblement moins bien que les autres la douleur due au froid, comme en témoignent leur comportement non verbal et l’allongement significatif de leur temps d’immersion dans le bain d’eau froide. Par ailleurs, les hommes et les femmes démontrent une sensibilité comparable à cette stimulation. Cependant, lorsqu’on demande aux femmes d’appréhender la sensation à venir, elles évaluent plus fortement l’intensité de cette douleur que les hommes.

«Aucun doute, c’est douloureux», confirme le chercheur, qui a lui-même fait l’expérience. Sur une échelle de 1 à 10, je dirais que la sensation douloureuse s’élève à 7.»

Caresse et douleur

Après avoir étudié la psychologie aux universités Concordia et McGill, M. Sullivan a travaillé dans un centre de recherche à Ottawa puis comme professeur, pendant 10 ans, à l’Université Dalhousie, à Halifax, avant de jeter l’ancre à l’Université de Montréal en 2002. Les douleurs neuropathiques auxquelles le chercheur consacre aujourd’hui ses travaux sont dues à des lésions du système nerveux. On attribue même à celles-ci les énigmatiques douleurs que les amputés ressentent à leur membre fantôme.

En conditions normales, signale Michael Sullivan, les signaux perçus par notre corps engendrent un influx nerveux qui est transporté par les cellules nerveuses jusqu’à la moelle épinière et, de là, il est transmis au cerveau où il est décodé. Dans le cas de la transmission du signal douloureux, il existe un système dans la région de la moelle épinière qui détermine si le signal doit être relayé ou non au cerveau. «Lorsque le patient a une pensée catastrophique, il pense sans cesse à sa maladie, fait remarquer M. Sullivan. On croit que cela a pour effet d’exacerber la souffrance et d’amener le cerveau à maintenir la transmission du signal de la douleur même lorsque le mal a disparu.»

L’hypersensibilité des personnes atteintes de douleurs neuropathiques serait due à un problème semblable. Dans ce cas, ce sont les lésions dans le système nerveux périphérique et central qui contribueraient au maintien du signal de la douleur, souligne le professeur Sullivan. «C’est pourquoi des stimulations sensorielles qui normalement ne devraient pas produire de douleur, comme une simple caresse avec un morceau de tissu, peuvent se traduire par une perception de douleur atroce chez les patients neuropathiques.»

D’innombrables articles ont porté sur les liens entre la douleur chronique et la maladie causée par les blessures musculosquelettiques, poursuit Michael Sullivan. Très peu de recherches ont cependant été menées auprès de patients aux prises avec des douleurs neuropathiques. Ces derniers sont souvent perçus comme des «malades imaginaires» puisque les lésions de leurs nerfs ne sont pas toujours détectables par les tests et examens médicaux habituels. Les travaux de Michael Sullivan et de ses collaborateurs figurent parmi les rares études sur le sujet.

Pour le psychologue, ses travaux ont permis de jeter un éclairage nouveau sur les douleurs neuropathiques. On sait maintenant que les mêmes facteurs psychologiques liés aux douleurs musculosquelettiques – notamment la peur, l’anxiété et l’impuissance – jouent également un rôle majeur dans les douleurs neuropathiques. «Nul doute, la psychologie fait partie de l’expérience de la douleur», en conclut le professeur Sullivan, pour qui cette sensation n’est pas toujours une réaction à un mal sous-jacent. «Elle est aussi parfois une maladie à part entière!»

Dominique Nancy

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