Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 6 - 3 octobre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Il sème à tout vent

Le dictionnaire Larousse continue d’«instruire tout le monde sur toutes choses»

Monique Cormier

Le Petit Larousse a 100 ans. Cet ouvrage encyclopédique qui a longtemps été, avec la Bible, le seul volume que possédaient nombre de foyers québécois a étonnamment été très peu étudié. Après avoir consacré, il y a deux ans, la 1re Journée québécoise des dictionnaires à l’œuvre de Paul Robert, la professeure Monique Cormier se devait cette année de dédier l’activité à Pierre Larousse.

«Le Petit Larousse est le dictionnaire de la connaissance et du savoir encyclopédique par excellence, affirme Monique Cormier. C’est l’ouvrage que consultaient religieusement nos parents et par lequel ils devaient se sentir confusément rattachés à la civilisation française. Il nous est tellement familier qu’on oublie de l’étudier.»

Professeure au Département de linguistique et de traduction, Monique Cormier a dirigé, avec Aline Francœur (Université d’Ottawa), la production de l’ouvrage collectif Les dictionnaires Larousse: genèse et évolution, publié aux Presses de l’Université de Montréal et qui sera lancé au cours d’un colloque international sur les dictionnaires Larousse tenu à la Grande Bibliothèque le 6 octobre. Ce colloque marquera l’ouverture de la Semaine des dictionnaires.

L’organisatrice a voulu rester fidèle à la vision de Pierre Larousse, dont la devise était Instruire tout le monde sur toutes choses. «Le colloque veut rendre accessibles les travaux et les savoirs des chercheurs en présentant un regard multidisciplinaire sur Le Petit Larousse», explique-t-elle. Pour ce faire, elle a sollicité la participation non seulement de linguistes et de littéraires mais également de chercheurs en histoire de l’art, en sociologie et même en physique. La plupart des présentations de ces conférenciers se retrouvent dans le volume.

Une image vaut mille mots

Parmi les approches originales, on remarque celle de Johanne Lamoureux, directrice au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, qui s’est penchée sur l’iconographie du Petit Larousse illustré. La professeure accorde une attention particulière à l’image de la semeuse, qui constitue la figure emblématique du Larousse et qui reste gravée dans la mémoire de quatre générations d’écoliers.

Celle qui «sème à tout vent» en soufflant sur une dent-de-lion, ou si vous préférez un pissenlit, a connu plusieurs métamorphoses depuis sa naissance, en 1905, mais elle a toujours su rester jeune. C’est la version des années 2000 que Monique Cormier a retenue pour illustrer la couverture de son ouvrage.

«D’abord incarnée par la graphie organique de l’Art nouveau, la Semeuse se métamorphose, pour l’édition commémorative de 2005, en une figurine féérique et carnavalesque qui parait davantage souffler des baisers vers un destinataire hors champ qu’elle ne semble participer à une pollinisation du savoir», écrit Johanne Lamoureux.

En comparant les éditions de 1905 et de 2005, on ne peut manquer d’observer que l’iconographie a considérablement évolué. Alors que la première édition ne comportait que des gravures, le virage photographique est pris dès 1910 et la photographie finit par supplanter le dessin à la fin des années 60. La gravure fait un retour à compter de 2004, mais demeure réservée à la faune et à la flore.

Se questionnant sur cet usage du dessin à l’ère de l’imagerie par résonance magnétique, Johanne Lamoureux finit par trouver le justificatif. «La photographie désigne un exemple singulier plutôt que de détailler un type générique comme le font les dessins», peut-on lire. Si nous voyons la photographie d’une tête de lion, «nous voyons là le portrait d’un spécimen dont la singularité trahit l’idée même d’une définition».

Les gravures jouent ainsi un rôle didactique plus marqué, alors que les photographies, réservées aux lieux et aux sites, servent de mises en contexte.

Cachez ce sein…

Tout n’est évidemment pas illustré dans Le Petit Larousse illustré ! Dans ses premières éditions, Larousse faisait lui-même une mise en garde à propos des «mots interdits» qui font l’objet «de recherches et de questions indiscrètes de la part des élèves» et qu’il avait écartés de sa nomenclature, nous apprend Jean-Claude Boulanger (Université Laval) dans son texte sur l’épopée du Petit Larousse au Québec.

Marqué par son caractère laïque, l’ouvrage paraissait tout de même trop permissif au clergé québécois qui, à l’époque, devait approuver tout ce qui entrait dans les écoles. Les éditions canadiennes ont été ainsi expurgées de tableaux de grands peintres où la nudité paraissait trop ostentatoire.

Mais les déesses grecques et latines échappaient parfois à la vigilance des censeurs. «Lequel des enfants de la génération d’après-guerre n’a pas contemplé en secret La Naissance de Vénus, La Toilette d’Esther, La Liberté conduisant le peuple?» demande le professeur. Comme quoi le dictionnaire Larousse n’est pas qu’un mauvais souvenir de pages à copier en guise de pensum!

Jean-Claude Boulanger retrace par ailleurs l’histoire des canadianismes, devenus des québécismes et des acadianismes, dans le Larousse. Les premiers à y avoir fait leur entrée sont les bleuet, coureur des bois, débarbouillette, épinette, millage, poudrerie, tuque et… verge en 1968.

Depuis, Le Petit Larousse illustré a intégré pas moins de 341 québécismes dont une dizaine, comme tabernacle [tabarnak], ont par la suite été retirés. Fait étonnant, des mots très courants comme outarde et érablière n’ont été admis respectivement qu’en 1998 et 2005.

Le professeur Boulanger, à qui l’on doit le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (éditions Le Robert), souligne par ailleurs que plusieurs définitions de mots québécois sont élaborées avec le contexte français comme référence. Bleuet, par exemple, est défini comme «la variété nord-américaine de la myrtille» et rondelle (de hockey) est «le palet de hockey sur glace». «Au Québec, signale-t-il, le mot myrtille n’est pas d’usage courant tandis que palet ne s’emploie pas et qu’on ne dit guère hockey sur glace mais simplement hockey», relançant ainsi le débat sur la nécessité d’un dictionnaire québécois.

Daniel Baril

L’évolution de la science dans le Larousse

Quel rapport y a-t-il entre Albert Einstein et Pierre Larousse? Réponse: nous fêtons cette année le centenaire de la publication des principaux travaux de ces deux personnages, soit la théorie de la relativité et Le Petit Larousse. L’occasion était donc toute trouvée de demander à un physicien d’évaluer la teneur scientifique du célèbre ouvrage.

À l’occasion de la 2e Journée québécoise des dictionnaires, Monique Cormier a confié cette tâche à François Wesemael, professeur au Département de physique, dont l’évaluation parait dans le volume collectif Les dictionnaires Larousse: genèse et évolution.

Le professeur Wesemael s’était livré à un exercice du même genre il y a deux ans en prenant Le Petit Robert comme terrain d’analyse. Il avait alors estimé la justesse scientifique d’une quarantaine de termes savants. On aurait souhaité qu’il effectue la même opération avec le Larousse afin de pouvoir juger des deux produits, mais il a plutôt choisi cette fois de comparer les définitions de l’édition de 1955 et celles de l’édition de 2005 du Petit Larousse.

Les mots comme brownien, comète, fluorescence, ozone, photoélectrique, relativité et plusieurs autres ont gagné en valeur scientifique au fil des ans et parfois même en concision malgré le caractère encyclopédique de l’ouvrage. Plusieurs termes créés pour décrire les nouvelles réalités scientifiques, tels boson, nanoscience, quark et supraconductivité, y ont en outre fait leur entrée ces dernières années.

En 1955, la définition du mot comète ne donnait guère plus d’information que ce que l’astronome Edmund Halley en savait en 1742. Selon le professeur Wesemael, Halley apprendrait beaucoup de choses s’il pouvait lire l’édition de 2005. Il découvrirait par exemple que le noyau solide et irrégulier d’une comète est composé de glace, de fragments rocheux et de poussières, que sa chevelure est entourée d’une enveloppe d’hydrogène décelable dans l’ultraviolet et que sa queue est toujours opposée au Soleil.

Les Nobel

Le physicien s’est également intéressé aux noms propres en prenant comme point de repère les lauréats de prix Nobel. Cet honneur n’est pas un gage de mention au dictionnaire, a-t-il rapidement constaté. Des 109 scientifiques à avoir reçu l’un ou l’autre des Nobel entre 1955 et 2003, seul 69 figurent dans Le Petit Larousse illustré. Une tendance à la baisse puisque, des 27 nobélisés ces 10 dernières années, 3 seulement ont mérité leur inclusion dans le dictionnaire. Les exclusions, qui ne sont fondées ni sur le domaine scientifique, ni sur la nationalité, ni sur le fait qu’il s’agit de chercheurs individuels ou d’équipes, lui paraissent tout simplement arbitraires.

Fait à souligner, Marie Curie, double nobélisée qui n’avait droit, en 1955, qu’à une mention à la rubrique de son mari, a maintenant sa propre entrée.

Malgré la lacune des prix Nobel, Le Petit Larousse passe le test de l’épreuve scientifique «avec brio», selon François Wesemael. L’ouvrage permet de savoir ce qu’est la télétoxie, de connaitre la différence entre un météore et une météorite, d’apprendre combien de gluons sont vecteurs de l’interaction forte, de trouver quelle est la vitesse du son dans l’eau ou encore de découvrir le véritable nom de Paracelse.

«L’ampleur des connaissances diffusées par cet ouvrage reste inégalée. Dans le domaine scientifique, Le Petit Larousse est un dictionnaire de choix dont la polyvalence ne cesse d’étonner», conclut le physicien.

D.B.

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