Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 7 - 11 octobre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les gens de la rue chantent mieux qu’ils le pensent

Jean-François Giguère et Simone Dalla Bella étudient le chant chez les profanes

Gilles Vigneault, qu’on voit avec Jean-François Giguère, a participé à l’étude.

«Mon cher Michel, c’est à ton tour de te laisser parler d’amour.»1

Devant le micro d’un étudiant au doctorat de l’UdeM, Jean-François Giguère, 62 personnes choisies au hasard ont chanté cette phrase sur l’air de Gens du pays, la célèbre chanson de Gilles Vigneault. Conclusion: «Les gens de la rue chantent étonnamment bien, observe le psychologue actuellement clinicien au Centre hospitalier Robert-Giffard de Québec. La précision et la stabilité des notes de même que le rythme, bref tout ce qui constitue une mélodie semble être rendu instinctivement par l’homme et la femme de la rue.»

Le monde ne se divise donc pas en deux: les bons et les mauvais chanteurs. «Nos résultats montrent que le chant est une activité naturelle à la portée de tous, signale le chercheur. Après tout, le chant est présent à toutes les époques de l’histoire humaine et dans toutes les cultures.»

En réalité, les «gens du pays» n’ont rien à envier au compositeur de la chanson lui-même, qui a accepté le printemps dernier de participer aux travaux du chercheur. Sa prestation, qui n’est pas sans failles, ne fait pas du poète de Natashquan un mauvais chanteur, tient à préciser l’auteur de l’étude. «De nombreux chanteurs populaires ont la réputation de ne pas chanter juste, explique le doctorant. On l’a dit de Neil Young, de Bob Dylan et de bien d’autres. Plus près de nous, l’ex-Jean Leloup et Richard Desjardins auraient probablement été recalés à l’audition s’ils avaient voulu entrer dans une faculté de musique.»

Jean-François Giguère fait remarquer que sa recherche ne décompose pas tout ce qui fait la beauté d’une chanson, par exemple son style et la poésie qui s’en dégage. En ce sens, Gilles Vigneault est certainement le meilleur interprète de son œuvre.

Fin de l’élitisme

Les travaux de Jean-François Giguère et de Simone Dalla Bella, menés sous la direction d’Isabelle Peretz au Laboratoire de neuropsychologie de la musique et de la cognition auditive, ont le mérite d’explorer un sujet peu étudié actuellement: le chant chez les non-musiciens. Si l’on fait abstraction des quatre ou cinq pour cent d’individus amusiques (des personnes qui éprouvent d’énormes problèmes en perception et production musicales) dans la population, l’étudiant croit que tous les gens ont la capacité de chanter.

«La musique n’est pas réservée à une élite. On entend souvent des hommes et des femmes dire qu’ils ne savent pas chanter ou qu’ils chantent faux. En réalité, notre recherche démontre que les profanes sont beaucoup plus compétents qu’ils le pensent...»

Bien entendu, il faut apporter certaines nuances. Le chanteur professionnel et la personne qui chantonne sous la douche ne possèdent pas la même maitrise de la technique vocale. Les quatre professionnels qui ont aussi pris part à l’étude en ont fourni une démonstration convaincante.

Cette recherche a permis de mettre au point un logiciel informatique qui analyse le chant. C’est une première dans le domaine, un nouvel outil objectif qui étudie en détail les performances du chanteur. Il est beaucoup plus précis que des mesures actuelles, selon Jean-François Giguère.

«Quand on s’arrête aux détails, on s’aperçoit que les gens ordinaires chantent moins bien que les pros, confesse-t-il. Ils sont moins précis pour ce qui est de la hauteur des notes chantées. Nous constatons de plus qu’ils chantent avec un tempo plus rapide que les chanteurs de carrière.»

Gens du pays

Pourquoi avoir choisi la mélodie Gens du pays plutôt qu’une autre? «Parce que tout le monde la connait», répond le chercheur sans détour. La méthodologie prévoyait en effet que les sujets de recherche devaient se mettre à chanter sans prendre le temps de se préparer.

Composée par Gilles Vigneault et Gaston Rochon (pour la musique), elle a été chantée pour la première fois en public à la fête de la Saint-Jean-Baptiste de 1975. Selon la petite histoire, elle résulte d’un défi lancé par la chanteuse Louise Forestier et l’humoriste Yvon Deschamps afin de remplacer le Happy Birthday des anglophones.

Quand il a demandé à M. Vigneault de participer à l’étude en mars dernier, Jean-François Giguère a été très heureux de recevoir sa réponse enthousiaste. «M. Vigneault s’est montré très intéressé par notre sujet, relate l’étudiant. Il a été affable avec moi et généreux de son temps, et il nous a fait promettre de le tenir au courant des conclusions de nos travaux.»

L’entretien s’est déroulé dans la loge de l’artiste, peu avant un spectacle au théâtre de la ville de Longueuil. La diffusion des résultats de l’étude a suscité beaucoup d’intérêt au congrès «Cognitive Neurosciences», tenu à New York en avril.

Lui-même pianiste et chanteur amateur, Jean-François Giguère a longtemps financé ses études grâce aux spectacles de blues qu’il donne dans des bars et des boites à chansons du Québec. Son groupe, That’s it Blues Band, s’est même déjà produit au Festival international de jazz de Montréal.

Avant d’entamer son doctorat au laboratoire de Mme Peretz, Jean-François Giguère a étudié la neurophysiologie du système visuel sous la direction de Christian Casanova et de Maurice Ptito, professeurs à l’École d’optométrie.

Mathieu-Robert Sauvé

1 Pour entendre l'enregistrement de M. Vigneault. Cliquez ici. (format WAV). Avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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