Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 8 - 17 octobre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Nos enfants et petits-enfants auront-ils 100 ans?

Nos enfants célèbreront-ils un jour leur 100e anniversaire?

Le Québec compte aujourd'hui beaucoup plus de centenaires qu’autrefois.

«Ils ont d’excellentes chances statistiques d’y arriver. Bien meilleures que les nôtres. Surtout les filles», répond Robert Bourbeau, directeur du Département de démographie et chercheur spécialisé en matière de longévité humaine.

Actuellement, l’espérance de vie à la naissance des Québécoises est de 82 ans, non loin des championnes en titre, les Japonaises (85 ans), et encore plus près des Françaises (83 ans). Mais ce chiffre étant une moyenne, le Québec compte beaucoup plus de centenaires qu’autrefois. On note même une augmentation de ce que les spécialistes appellent des «supercentenaires», soit des personnes qui dépassent le cap des 110 ans. Par exemple, le 16 septembre dernier, à Montréal, Julie Winnefred Bertrand fêtait son 114e anniversaire, devenant la cinquième personne la plus âgée dans le monde.

Il s’agit d’un cas authentifié par les chercheurs. C’est important de le mentionner, car dans ce domaine on se heurte souvent aux lacunes de la méthodologie. Or, grâce aux registres paroissiaux et aux données de l’état civil, l’équipe montréalaise peut déterminer avec exactitude les dates de naissance et de décès des centenaires et supercentenaires et asseoir ainsi l’étude du phénomène sur des bases rigoureuses, ce que très peu de pays ou de régions sont en mesure de faire.

Quand le démographe exhibe la courbe des décès des centenaires sur un graphique, on est frappé par leur hausse constante au Québec. Alors qu’on comptait moins de 20 décès de centenaires annuellement avant les années 60, on en dénombrait environ une centaine en 1980 et plus de

300 en 2004. Au dernier recensement canadien, en 2001, Statistique Canada rapportait près de 3800 centenaires au pays, dont environ 800 au Québec. «C’est un nombre peut-être excessif, nuance Robert Bourbeau, car le recensement se base sur l’autodéclaration. Mais il traduit une vérité indiscutable.»

Le Québec n’est pas une exception. Selon un article paru dans Science en 2002 et signé par Jim Oeppen et James Vaupel, respectivement de l’Université de Cambridge et du Max Planck Institute for Demographic Research, l’accroissement de l’espérance de vie est un phénomène constant depuis... 160 ans. Dès 1840, la vie humaine a commencé à s’allonger, tant pour les femmes que pour les hommes, et cette augmentation a été d’une régularité déconcertante: trois mois par année en moyenne. À ce rythme, l’espérance de vie pourrait atteindre 95 ans dans certains pays en 2040. Et au diable tous ceux qui affirment, documents à l’appui, que la vie humaine a une limite biologique! «Un chercheur très respecté dans le milieu, S. Jay Olshansky, a annoncé en 1990 qu’il était fort peu probable que l’espérance de vie dépasse les 85 ans. C’est chose faite pour les femmes japonaises depuis 2001», mentionne M. Bourbeau.

Contestée, la projection de Oeppen et Vaupel ne se base pas moins sur des données démographiques solides. En plaçant sur une courbe les moyennes des pays les plus performants pour ce qui est de la longévité, ils excluent sciemment les collectivités ravagées par les guerres ou les catastrophes naturelles. Mais rien ne laisse croire que la tendance pourrait ralentir ou s’inverser. Rien... ou presque. «La vague d’obésité dans plusieurs pays pourrait causer des surprises, signale M. Bourbeau. Aux États-Unis et même au Canada, on trouve une proportion croissante d’adolescents et même d’enfants obèses. Formeront-ils la première génération à mourir plus jeunes que leurs parents? Ce n’est pas impossible.»

Comme Oeppen et Vaupel, qualifiés d’optimistes, M. Bourbeau et la plupart de ses collègues pensent que, du point de vue de la santé publique, les progrès médicaux procureront plus de bienfaits qu’ils ne causeront d’inconvénients. «Ce matin encore, on annonçait dans le journal un vaccin contre le cancer du col de l’utérus. Je crois que la limite biologique de la vie humaine n’est pas encore prévisible.»

Quand on parle de la longévité, une chose surprend toujours: la surreprésentation des femmes. Aussi loin qu’on remonte dans le temps, c’est un fait avéré: les femmes meurent plus vieilles que les hommes. Au Québec, l’écart dans l’espérance de vie à la naissance est actuellement de cinq années. Même lorsqu’une grande proportion d’entre elles mouraient en accouchant, elles avaient tout de même une avance de près de deux ans. Depuis, elles demeurent les reines de la longévité.

Cet écart entre les sexes s’explique par des facteurs biologiques et socioculturels. Sur le plan biologique, les femmes auraient un avantage lié à la présence de leurs deux chromosomes X; elles jouiraient aussi d’une protection hormonale naturelle, due à la sécrétion de folliculine, contre les maladies cardiovasculaires, les plus grands tueurs des sociétés modernes. Sur le plan socioculturel, les femmes ont tendance à mieux prévenir les problèmes de santé.

Le cas des propres parents de M. Bourbeau en témoigne. Son père est mort prématurément, à 50 ans, tandis que sa mère, âgée de 94 ans, pourrait devenir centenaire.

Mais si l’on vit plus vieux, vit-on plus en santé? «Ça, admet le démographe, c’est une autre question.»

Mathieu-Robert Sauvé

Ce site a été optimisé pour les fureteurs Microsoft Internet Explorer, version 6.0 et ultérieures, et Netscape, version 6.0 et ultérieures.