Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 8 - 17 octobre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Un entomologiste tisse sa toile au Jardin botanique

Embauché par l’IRBV, Jacques Brodeur est un expert de la lutte biologique

Cette guêpe pourrait sauver nos champs de soya.

Depuis deux ans, les champs de soya du Québec sont infestés par un puceron qui nuit à la qualité des récoltes. Que faire? Répandre des pesticides sur les 160 000 hectares de culture? Impensable. La solution pourrait plutôt provenir d’une (Lysiphlebus testaceipes) guêpe qui pond ses œufs dans le corps même des ravageurs. Quand les populations de pucerons diminueront, la prospérité des guêpes diminuera au même rythme.

Si les tests actuellement en cours dans des champs aux États-Unis sont concluants, on pourrait voir cet insecte se lancer à l’assaut des pucerons québécois qui font la belle vie, car presque rien ne menace leur existence.

«Pour désigner les guêpes capables d’effectuer cette mission, il a fallu étudier les ennemis naturels du puceron en Chine, au Japon et en Malaisie, explique le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biocontrôle et nouveau professeur au Département de sciences biologiques, Jacques Brodeur. Mais soyez tranquille: on ne libèrera pas des nuées de guêpes exotiques sur nos champs tant que leur innocuité ne sera pas totalement assurée.»

Le 24 octobre, en présence du ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Thomas Mulcair, Jacques Brodeur prononcera une conférence inaugurale au cours de laquelle il donnera plusieurs exemples de ce type afin d’illustrer les espoirs suscités par ce secteur scientifique en plein essor qu’on appelle la lutte biologique ou biocontrôle. «Les agents biologiques sont de plus en plus disponibles, efficaces et même économiquement avantageux par rapport aux pesticides de synthèse», signale-t-il à Forum en vue de sa première présentation publique à titre de professeur de l’Université de Montréal (il est en poste depuis juin dernier, après avoir travaillé 13 ans à l’Université Laval).

Bons et mauvais coups

Si l’histoire de la lutte biologique a été assombrie par des catastrophes récentes (on pense à la coccinelle asiatique, importée aux États-Unis pour lutter contre les parasites agricoles et qui a conquis nos latitudes depuis), ce domaine est prometteur sur le plan de la recherche tant fondamentale qu’appliquée. «La lutte biologique s’étend de l’agriculture à la foresterie et à la santé humaine, prétend M. Brodeur. Elle compte de retentissants succès partout dans le monde, y compris au Québec. Par exemple, la lutte aux lépidoptères nuisibles comme la tordeuse des bourgeons et la livrée des forêts doit beaucoup à l’existence du BT.»

Le BT, abréviation de Bacillus thuringiensis, est assurément un des fleurons de la lutte biologique. Fabriqué à partir d’une bactérie trouvée en Israël à l’état naturel en 1976, le BT est utilisé en génie génétique autant que dans le secteur de l’épandage sous une forme plus traditionnelle. Le BT a une forte activité larvicide; on l’emploie contre les insectes nuisibles non seulement dans les champs cultivés et les forêts, mais aussi dans les campagnes pour limiter la propagation des moustiques et des mouches noires.

Le BT n’est pas le seul succès de la lutte biologique. «En serre, presque tous les insectes peuvent être contrôlés par des agents biologiques, mentionne le spécialiste. Qu’il s’agisse d’espèces prédatrices, de champignons ou de virus, il y a moyen d’atténuer les effets des ravageurs sans recourir à l’épandage d’insecticides ou d’herbicides.»

Les succès sont plus mitigés à l’air libre, où la monoculture domine. Le recours aux pesticides chimiques est alors presque inévitable pour l’instant. Toutefois le milieu agricole, conscient des critiques qu’on lui adresse à ce sujet, est sensible à cette question.

Mais il n’y a pas que de mauvaises nouvelles dans nos champs. Les organismes génétiquement modifiés (OGM), qui sont souvent dans la mire des écologistes, peuvent réduire la pollution agricole. «En Arizona, on a créé une variété de coton génétiquement modifié pour intégrer le BT, raconte le chercheur. Du coup, on a cessé complètement les épandages de pesticides. On en faisait jusqu’à sept par saison jusque-là. Au Québec, on a beaucoup de maïs BT, qui fait un peu la même chose. C’est une solution intéressante.»

Par contre, M. Brodeur s’inquiète de la multiplication de semences génétiquement modifiées à l’herbicide Roundup, de Monsanto, qui a l’effet contraire. Dans ce cas, on encourage l’utilisation massive d’un produit puissant qui détruit toute herbe, sauf celle qui intéresse le cultivateur. Les OGM deviennent alors les complices de cette pollution.

13 étudiants des cycles supérieurs

Premier entomologiste de l’UdeM au service des plantes, Jacques Brodeur déménagera à Montréal sous peu. Après avoir suivi ses cours d’entomologie aux Pays-Bas, il a été professeur au Département de phytologie de l’Université Laval de 1992 à 2005. La Chaire de recherche du Canada en biocontrôle lui offrira d’excellentes conditions pour faire de la recherche. «Je suis emballé», résume-t-il.

En transférant son laboratoire de Québec à Montréal – non sans un pincement au cœur, tient-il à souligner –, Jacques Brodeur amènera avec lui quelques-uns des 13 étudiants à la maitrise et au doctorat actuellement sous sa direction. «Accepter l’offre de l’Université de Montréal n’a pas été une décision facile à prendre, dit-il. Mais je ne pouvais pas laisser passer une telle chance professionnelle.»

Mathieu-Robert Sauvé

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