Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 8 - 17 octobre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Des rats bioniques à Polytechnique

Mohamad Sawan travaille sur la vision artificielle

Mohamad Sawan, lauréat du prix J.-Armand-Bombardier de l’ACFAS, et Jean-François Gervais, associé de recherche et ex-étudiant

Le laboratoire Polystim de l’École polytechnique lance cet automne des essais in vivo chez le rat de son stimulateur visuel cérébral. Alliant informatique et microélectronique, ce bijou d’ingénierie de la grosseur d’une tête d’épingle pourrait permettre de redonner la vue aux personnes aveugles.

Dorénavant installé dans le nouveau pavillon Pierre-Lassonde de l’École, Mohamad Sawan, fondateur et directeur du laboratoire de neurotechnologies Polystim, tient entre ses doigts le résultat de six années de travail: une matrice de deux millimètres carrés et ses 16 microélectrodes parfaitement alignées. «Cette matrice est reliée à un module informatique de contrôle des signaux et à un autre de communication sans fil. L’unité, entièrement implantable, est très souple: on peut en raccorder plusieurs entre elles et les disperser selon les circonvolutions du cerveau. C’est de l’électronique avancée», résume-t-il.

L’ensemble du stimulateur permet d’acheminer l’information directement dans l’aire visuelle du cerveau sans passer par l’œil et le nerf optique. En effet, une caméra remplace l’œil et transmet par un module externe de traitement de l’image le signal visuel aux microélectrodes.

À Polystim, une douzaine de membres se préparent à mettre le dispositif à l’épreuve. «Cet automne, nous allons valider chez le rat le principe d’activation des phosphènes ainsi que le bon fonctionnement des modules électroniques, indique Mohamad Sawan. C’est une étape cruciale pour nous.»

Un phosphène, c’est un point lumineux, plus ou moins intense, qui s’affiche dans le champ de vision. Sa position dans l’espace doit correspondre à sa position dans le champ visuel.

Mais comment savoir si le rat perçoit ou non un point lumineux? «En vertu du principe selon lequel le rat immergé dans un bassin cherche une issue, on lui indiquera la sortie en stimulant son cortex en conséquence», explique le chercheur. Si le rat aveugle trouve la sortie suivant l’activation des phosphènes, le principe sera valide.

Selon le même principe, au cours d’un essai clinique effectué aux National Institutes of Health des États-Unis, au milieu des années 90, un patient aveugle a été capable de reconnaitre des caractères formés à l’aide d’une matrice de 38 minces fils insérés dans son cortex visuel.

Domaine embryonnaire

«Prendre une image et l’amener au cerveau n’est pas simple. Puis, comment la proposer pour que le cortex l’interprète correctement? Tout cela n’est pas encore bien documenté», admet Mohamad Sawan, qui qualifie ses recherches d’expérimentales.

C’est pourquoi une autre équipe du laboratoire Polystim travaille sur l’enregistrement de l’activité du cortex afin d’obtenir une sorte d’électroencéphalogramme détaillé. On procède de manière inverse à la stimulation, mais avec un sujet normal et voyant. «Nous sommes curieux d’apprendre ce qui se passe quand une information arrive à l’aire visuelle. Par exemple, si l’on se trouve dans le noir et qu’on allume une lumière, quel patron de stimulation sera activé?»

Si les connaissances restent fragmentaires et que les données manquent pour comprendre comment le cerveau traite les signaux visuels, l’ingénieur espère tout de même mettre au point un système fonctionnel chez l’humain avant 2010. «Dans le domaine médical, on parle de 15 à 20 ans avant d’amener un produit jusque sur le marché. Il faut être très motivé pour y arriver. On ne fait pas de tels travaux pour régler des problèmes du jour au lendemain, surtout lorsqu’on touche à la vision et au cerveau, avec ses 10 milliards de neurones!»

Bionique internationale

En juillet dernier, l’École polytechnique a été l’hôte de la 10e conférence de l’International Functionnal and Electrical Stimulation Society. Présidée par Mohamad Sawan, la rencontre a réuni environ 200 bio-ingénieurs, cliniciens et thérapeutes venus faire le point sur les avancées de la technomédecine.

L’un des ateliers présentait un aperçu des avenues de recherche dans le secteur très compétitif de la vision artificielle. Par exemple, une équipe américaine planche sur une rétine artificielle capable de transmettre au nerf optique un signal capté par une caméra. Une autre équipe tente de stimuler directement le nerf optique. Dans ces deux cas, des essais ont été effectués sur un petit nombre de patients. Les résultats ont été décevants et indiquent que bien du chemin reste à faire avant le premier véritable œil bionique. La vision artificielle n’est pas pour demain.

Charles Désy
Collaboration spéciale

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