Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 8 - 17 octobre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Transportée par les ouragans, la rouille du soya est à nos portes

Un système de modélisation aérobiologique avait prévu la progression de la maladie aux États-Unis

Ce capteur de particules que manipule le professeur Paul Comtois permet d’obtenir un relevé horaire très précis du nombre de particules en suspension dans l’air, que ce soit les pollens, les spores ou les poussières.

Grâce à un système de modélisation aérodynamique qu’a élaboré avec d’autres chercheurs le professeur Paul Comtois, du Département de géographie, on peut prévoir avec un degré de probabilité très élevé l’arrivée, dans une région donnée, d’une spore, d’un pollen ou de tout autre particule transportée par les courants atmosphériques.

«Lorsqu’on évalue les risques de propagation d’une maladie sur un territoire, on tient compte des voies terrestres dans le transport de l’élément pathogène par les animaux, les humains et les véhicules, mais on oublie souvent de considérer la voie atmosphérique. Pourtant, plusieurs parasites se sont adaptés à cette forme de déplacement qui demande peu d’énergie», explique Paul Comtois. Ce mode de dispersion est l’objet de l’aérobiologie.

Le système de modélisation, sur lequel le professeur a travaillé avec des collègues des universités de Pennsylvanie et du Michigan, a vu le jour à la demande du ministère de l’Agriculture des États-Unis, qui s’inquiétait de la venue d’une nouvelle maladie en provenance de l’Amérique du Sud, la rouille du soya.

Le tour du monde en 100 ans

La rouille du soya est produite par un champignon qui cause le dessèchement des feuilles et la défoliation de la plante. La maladie a été observée pour la première fois au Japon en 1902, puis en Afrique du Sud à la fin des années 90. De là, les spores du champignon auraient été transportées par les vents de très haute altitude jusqu’en Amérique du Sud, où la maladie a fait son apparition en 2001, notamment au Brésil et en Colombie.

En novembre 2004, le gouvernement américain annonçait l’arrivée de la rouille asiatique en Louisiane. «Les spores ont été amenées par l’ouragan Yvan, qui leur a permis de traverser le golfe du Mexique», affirme Paul Comtois.

Le phénomène a créé tout un émoi dans l’industrie du soya puisqu’on ne connait pas de plant résistant à la maladie ni de moyen biologique de la combattre. «Quand un champ est atteint, 80% des plants risquent d’être endommagés, indique le professeur. Au Brésil, la rouille a détruit de 12 à 15% de la production totale de soya du pays.»

Le champignon ne s’en prend pas qu’au soya, il attaque aussi le lupin, le haricot, le pois, la fève et le trèfle blanc. Pour sauver l’industrie, les États-Unis ont autorisé l’utilisation d’urgence de certains fongicides qui n’auraient pas passé toutes les étapes habituelles de l’homologation.

Après la Louisiane et la Floride, la maladie s’est répandue vers le nord et l’est à la faveur des vents dominants. Les prélèvements au sol montrent que les zones les plus touchées sont le nord-ouest de la Floride, l’Alabama et la vallée du Mississippi. La carte de dispersion atmosphérique montre en outre que des dépôts, en faible quantité, auraient maintenant atteint le sud du lac Ontario. «La dissémination s’est faite exactement comme notre modèle le prédisait, avec une ou deux semaines de décalage, mentionne le professeur. On pensait jusqu’ici que la contagion par voie aérienne était un mode d’action très peu probable, mais on a à présent un cas qui montre le contraire.»

Voir venir le coup

Le système aérobiologique incorpore les données biologiques de l’agent à observer, soit dans ce cas-ci les propriétés de la spore, sa concentration dans l’air, sa vitalité sous les ultraviolets, de même que des éléments relatifs aux conditions atmosphériques comme les vents locaux et de haute altitude, l’humidité, la pluie, la topographie, etc. «Un champignon peut même se développer dans l’air si le milieu est très humide, souligne Paul Comtois. Les ouragans constituent donc des milieux propices.»

Dès que la présence d’un agent pathogène est signalée à un endroit, le système permet de prédire où cet agent ira. Les prédictions peuvent être obtenues autant pour le pollen de l’herbe à poux que pour les poussières, les spores de l’asthme ou tout autre particule en suspension; il suffit d’y entrer les caractéristiques de l’agent à étudier.

«Le système procède par blocs qui s’emboitent les uns dans les autres, précise le chercheur. On part des conditions de la géographie locale et on va jusqu’aux grands mouvements atmosphériques.» Ceci ne fait évidemment pas obstacle à l’envahissement, mais permet aux responsables de voir venir le coup et d’intervenir plus rapidement en surveillant les zones à risque pour détruire les plants infectés.

La rouille du soya n’a pas encore été détectée au Québec ni en Ontario et les experts sont d’avis que la spore en question ne résisterait pas à nos hivers. Mais rien n’empêcherait qu’elle se rende ici en une saison à partir d’un foyer d’infection au sud de la frontière. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec considère la chose comme une possibilité.

Si l’alerte était donnée, le système d’aérobiologie du professeur Comtois permettrait de devancer l’arrivée de la maladie.

Daniel Baril

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