Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 9 - 31 octobre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La sociologie des galaxies selon Hubert Reeves

Le célèbre astrophysicien entretient son auditoire des relations sociales des galaxies

Hubert Reeves

Rien ne semble plus seul qu’une galaxie apparemment perdue au milieu du néant. Pourtant, les galaxies aiment la compagnie. À l’échelle des distances cosmiques, elles apparaissent regroupées en amas. Certaines forment des ensembles très étroits que les astrophysiciens n’hésitent pas à qualifier de ballet ou de menuet.

Mais ces groupes rapprochés cachent une réalité moins ludique: les galaxies qui sont très près les unes des autres finissent par entrer en collision et l’on parle alors de cannibalisme.

Ces comportements et relations sociales des galaxies faisaient l’objet de la conférence présentée par le Département de physique à l’occasion de l’Année internationale de la physique et dont l’invité était Hubert Reeves. Directeur de recherche au CNRS, à Paris, le professeur Reeves entretient toujours des liens étroits avec son alma mater, notamment en parrainant une bourse d’études supérieures destinée aux étudiants en physique.

Graines de galaxies

Notre galaxie, la Voie lactée, fait ainsi partie d’un petit groupe d’une trentaine de galaxies dispersées dans un espace de 7 M d’années-lumière. Ce groupe local n’est qu’un sous-groupe de l’amas de la Vierge, dont le centre est situé à 70 M d’années-lumière de notre amas et qui compte plusieurs centaines de galaxies et nébuleuses de toutes les tailles et de toutes les formes.

«Les amas de galaxies sont les dernières structures de l’Univers, a expliqué l’astrophysicien. C’est-à-dire que le temps nécessaire pour qu’ils se soient formés équivaut à l’âge de l’Univers.»

Cet âge est maintenant estimé à 13,7 milliards d’années, une mesure obtenue par divers procédés dont les résultats concordent.

Les amas de galaxies paraissent en fait être des points de jonction de filaments de matière qui parcourent l’Univers dans tous les sens. Ces concentrations de matière en filaments résultent de «grumeaux» infinitésimaux déjà présents dans la soupe originelle qui a suivi les premiers instants du bigbang. Par la force de gravité, chaque point à peine plus concentré qu’un autre a fini par attirer plus d’éléments qui ont fini à leur tour par créer des nuages qui, s’effondrant sur eux-mêmes, finissent par donner des galaxies distribuées sur des lignes de force de l’univers initial.

«Ces inégalités seraient probablement dues à des fluctuations quantiques de la matière et sont encore perceptibles dans ce qu’on appelle le rayonnement fossile», a indiqué Hubert Reeves. D’infimes variations de l’ordre de 30 millionièmes de degré entre des zones chaudes et des zones froides du fond du ciel tel qu’il était 380 000 ans après le bigbang montrent en effet que l’univers primitif n’était pas homogène. Ces variations ont constitué de véritables graines de galaxies.

Trous noirs

Au centre de la plupart des galaxies se cache un trou noir, c’est-à-dire un objet dont la gravité est tellement forte que même la lumière ne peut s’en échapper. «On ne peut évidemment pas voir un trou noir, mais on peut observer les signes de sa présence», a souligné l’astrophysicien.

L’un de ces signes est un jet de matière propulsé par la rotation du trou noir et observable en rayonnements X. Ces jets s’étendent en directions opposées à partir des pôles de l’astre gigantesque. L’une des photos les plus spectaculaires de tels jets de matière provient de la plus grosse et de la plus active des galaxies de l’amas de la Vierge, soit M87. Son trou noir équivaut à 10 M de soleils et propulse des jets de particules s’étirant jusqu’à 5000 années-lumière du noyau.

Notre galaxie a aussi son trou noir, mais il est de bien modeste taille en comparaison de celui de M87 avec sa masse de 3 M de soleils. Notre trou noir cependant n’émet pas de jet de matière; il a été détecté entre autres par l’observation constante, depuis 1992, d’une étoile gravitant près du centre de la galaxie. «Cette étoile décrit une orbite elliptique, a précisé Hubert Reeves. Si elle a une orbite elliptique, c’est qu’elle gravite autour de quelque chose.»

Mais pourquoi le trou noir de la Voie lactée ne projette-t-il pas de matière? «Parce qu’il n’a plus rien à manger, a répondu le chercheur. Il a déjà avalé tout ce qui se trouvait à proximité et, pour le nourrir, il faudrait un apport important de matière qui ne pourrait être donné que par une collision avec une autre galaxie.»

Les collisions de galaxies sont plutôt surprenantes puisque, l’Univers étant en expansion, les galaxies devraient s’éloigner les unes des autres. «Cela est dû à leur force de gravité, a expliqué le professeur Reeves. Lorsque deux galaxies sont suffisamment rapprochées, leur force d’attraction peut être plus forte que la poussée d’expansion. Elles se cannibalisent.»

Ces collisions engendrent notamment des étoiles géantes bleues, qui sont des sources d’oxygène. «Il est possible, a affirmé le conférencier, que l’oxygène présent dans votre corps ait été produit lors d’une telle collision.»

Et il est également possible que cet oxygène entre de nouveau dans la composition d’une géante bleue puisque notre galaxie va entrer en collision avec la galaxie d’Andromède, située à 2 M d’années-lumière de nous. Mais inutile de retenir votre souffle: cette collision est prévue dans trois milliards d’années.

Univers parallèles?

Si certaines personnes de l’assistance se sont laissées aller à imaginer que l’univers connu pourrait n’être qu’une molécule dans un organisme aux dimensions inimaginables, d’autres ont soulevé l’hypothèse plus envisageable des univers parallèles.

Répondant à une question à ce propos, Hubert Reeves a estimé que tout est possible mais… «Les valeurs de la force de gravité et de la force nucléaire pourraient ne pas être des impondérables et exister avec des variables différentes. En modifiant les données, on peut envisager ce que serait les univers qui en résulteraient, et ces univers seraient stériles. Mais il n’y a aucun indice qui justifie une telle hypothèse.»

Cette hypothèse lui semble en fait non crédible. Tout au plus sert-elle à «alimenter des conversations de fin de soirée lorsqu’il y a une panne d’électricité…»

Daniel Baril

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