Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 10 - 7 novembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Dépolitiser la nomination des juges à la Cour suprême

Le statuquo ne peut plus durer, déclare le professeur Karim Benyekhlef

Karim Benyekhlef

«La transparence du processus de nomination des juges à la Cour suprême doit être assurée et le comité de consultation mis sur pied par le ministre de la Justice Irwin Cotler ne garantit pas cette transparence pas plus qu’il ne préserve l’indépendance du pouvoir judiciaire», affirme Karim Benyekhlef, professeur au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit.

Le professeur Benyekhlef a fait partie du comité de travail chargé d’élaborer la position de l’Association canadienne des professeurs de droit (ACPD) sur le sujet. Il présentait le contenu du rapport à Forum au moment même où le ministre Cotler annonçait l’instauration d’un nouveau processus de nomination pour le remplacement du juge John C. Major, processus jugé plutôt insatisfaisant.

Un fond juridique mince

Actuellement, la nomination des juges à la Cour suprême tient davantage de la tradition que de l’obligation juridique. «La constitution de 1867 se limite à dire que les juges doivent être nommés par le gouverneur général, explique Karim Benyekhlef. La Loi sur la Cour suprême précise, quant à elle, qu’ils doivent être choisis parmi les juges des cours supérieures des provinces ou parmi les avocats inscrits depuis 10 ans au barreau. Cette même loi prévoit qu’au moins trois des neuf juges doivent provenir du Québec.»

En conformité avec ce fond juridique, que l’ACPD considère comme mince, il s’est développé une pratique qui n’a jamais été incorporée à aucune loi. Selon la tradition, c’est en fait le ministre de la Justice qui choisit les juges, après consultation des barreaux provinciaux et des juges des cours supérieures; c’est au premier ministre que revient le choix du juge en chef après une consultation des mêmes instances. Ces choix sont par la suite entérinés par le gouverneur général.

«Tous reconnaissent que cette façon de faire doit être révisée parce qu’elle est trop opaque et qu’elle ouvre la porte au favoritisme», souligne le professeur. Le gouvernement s’était d’ailleurs engagé à revoir le processus à la suite du remplacement de deux juges à l’été 2004 et c’est dans ce contexte que le ministre Cotler a formé un comité consultatif en vue de la prochaine nomination; il s’est également engagé à justifier son choix devant le Comité permanent de la justice.

Selon Me Benyekhlef, ceci est déjà mieux que ce qu’on observe aux États-Unis, où les candidats doivent eux-mêmes comparaitre devant un comité sénatorial qui enquête sur les moindres gestes de leur vie privée et qui est à la merci des groupes de pression. On l’a encore vu il y a quelques jours avec le retrait de la candidate Harriet Miers, qui a cédé aux pressions de la droite religieuse.

«C’est le genre de scénario qu’il faut éviter», signale le professeur. Mais le processus annoncé par le ministre Cotler le laisse insatisfait. «La justice nécessite le maintien d’un lien de confiance entre son administration et le public; il ne suffit pas que justice soit rendue, l’apparence de justice ne doit pas être mise en doute.»

Dépolitiser le processus

Pour conserver ce lien de confiance, il est essentiel de dépolitiser totalement le processus de nomination des juges afin de prévenir toute partisanerie et même toute apparence de favoritisme. Le témoignage du ministre de la Justice devant le Comité permanent ne serait pas de nature à préserver la séparation des pouvoirs.

«Cela deviendra un exercice politique partisan, indique le professeur. Allez à n’importe quelle commission parlementaire à Ottawa et vous verrez qu’après 10 minutes c’est la foire d’empoigne. On ne cherche pas à discuter du fond des problèmes, mais à embêter le gouvernement.»

L’ACPD propose plutôt la formation d’une commission indépendante dont les membres seraient choisis par le ministre de la Justice d’une part et par les barreaux et les groupes de la société civile d’autre part. Cette commission entendrait les candidats et produirait un rapport sur ses décisions. Le ministre devrait idéalement entériner ces choix, mais il n’y aurait pas d’audiences parlementaires de confirmation ou de révision des décisions.

La présence de représentants de la société civile à une telle commission apparait essentielle non seulement pour garantir la transparence mais également pour mieux refléter le tissu social. À cette fin, l’ACPD propose de réserver au moins un siège à un juge autochtone et au moins quatre à des femmes, en plus du maintien des trois sièges réservés au Québec.

Malgré un fond juridique mince qui ne donne pas aux femmes, et encore moins aux autochtones, l’assurance de siéger à la Cour suprême, Karim Benyekhlef ne croit pas nécessaire de protéger ces dispositions par une loi. Il est quasi impossible d’amender la Constitution et un amendement à la loi risque de donner lieu à des pressions partisanes. Un processus souple assurant une pratique par convention lui semble préférable et il suffirait pour cela d’une déclaration ministérielle.

«La Cour suprême est une institution très importante pour le pays et le statuquo ne peut plus durer», conclut le professeur.

Daniel Baril

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