Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 11 - 14 novembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Le cerveau en action

John Kalaska estime que, comme ce fut le cas dans les années 50, les chercheurs sont à la veille de faire de très grandes découvertes sur le fonctionnement du cerveau

John Kalaska

«Ce qui m’intéresse, c’est de savoir de quelle façon fonctionne le cerveau comme organe de traitement de l’information afin de nous permettre d’interagir avec le monde», dit promptement John Kalaska à la journaliste de Forum avant même qu’elle ait pu poser une première question. Debout derrière son bureau, il pointe aussitôt l’écran de son ordinateur. «Voilà l’un des tests que nous utilisons pour étudier les mécanismes cérébraux qui gouvernent l’exécution d’un mouvement et la planification de tâches.»

Deux minutes en présence de ce professeur du Département de physiologie et déjà on se trouve plongé au cœur de ce qui a absorbé les 30 dernières années de sa vie: le fonctionnement des cellules du cortex cérébral. Il étudie les «grandes populations de neurones» du cortex cérébral, car isoler un neurone est aussi utile qu’un poteau télégraphique dans le désert. Il faut qu’il soit relié à d’autres pour détecter, mémoriser, réfléchir et réagir.

«Par exemple, si j’ai soif, explique M. Kalaska, le cerveau doit déterminer la position spatiale de ma tasse de café, évaluer la distance à parcourir et organiser un mouvement de saisie approprié pour poser la main au bon endroit. Ce mouvement en apparence très simple implique des millions de neurones répartis dans différentes régions du cerveau.»

Comment les neurones du cortex cérébral recueillent-ils les éléments d’information nécessaires afin de déterminer la meilleure stratégie comportementale ou le mouvement le plus adéquat dans un contexte donné? Quels sont les mécanismes préalables à la prise de décision et comment le système moteur utilise-t-il ou transforme-t-il cette intention en action? Voilà des questions essentielles auxquelles John Kalaska cherche à apporter des réponses parce qu’il en va de la connaissance fondamentale de l’activité cérébrale. En effet, ce qu’on apprend sur le fonctionnement de tous ces réseaux pourrait offrir de formidables perspectives dans le traitement des affections neurodégénératives comme la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer, en plus de permettre une meilleure compréhension d’affections telle la schizophrénie.

Des animaux et des hommes

Même si plusieurs mécanismes précis du fonctionnement du cerveau demeurent encore obscurs, «nous sommes à la veille de faire des découvertes très importantes», affirme John Kalaska, qui compare cette période à celle des années 50, où les mécanismes de codage génétique de l’ADN ont été mis au jour. «En mesurant les variations des décharges électriques émises par les neurones, nous pouvons déjà associer leur activité à l’une ou l’autre des étapes de traitement de l’information qui sont essentielles à l’accomplissement d’une tâche comportementale, indique-t-il. À l’aide de modèles mathématiques et statistiques, nous pouvons ensuite déterminer quels sont les mécanismes d’encodage et de transformation des informations pertinentes, c’est-à-dire “le langage interne du cerveau”, dans les patrons d’activité des neurones.»

Pour effectuer de telles observations, John Kalaska a recours à des sujets animaux. Un primate spécialement entrainé peut ainsi avoir à activer un bras manipulateur afin d’atteindre une cible ou simplement devoir regarder un écran d’ordinateur pendant qu’une personne exécute la tâche. Une microélectrode capte les décharges neuronales produites dans différentes aires du cortex cérébral à diverses étapes de l’expérience. «C’est fascinant, estime le chercheur. On peut voir en temps réel les patrons d’activité des cellules et prédire, simplement en entendant les décharges, ce que l’animal va faire avant même qu’il passe à l’action.»

D’autres recherches psychophysiques sur la planification et le contrôle des mouvements, ainsi que sur l’apprentissage des habiletés motrices chez l’homme, lui permettent de comparer les comportements simiesque et humain. «Vous savez, la façon dont le cerveau des singes et celui des hommes traite l’information semble globalement identique», fait remarquer le spécialiste du système nerveux.

Outre le fait qu’elles peuvent engendrer des retombées cliniques significatives, les études modifient la manière dont il faut envisager le fonctionnement du cerveau. «Nos enregistrements neuronaux dans le cortex dorsal prémoteur et pariétal ont montré le codage simultané de plusieurs directions de préhension potentielles dans ces deux régions corticales, souligne le professeur. Nous avons également trouvé des preuves que cette activité est modulée par des variables de décision, ce qui nous porte à croire que le comportement volontaire implique une compétition constante entre des représentations de plusieurs démarches possibles.»

Ces observations sont très importantes, car elles contredisent la théorie en vigueur depuis plusieurs d’années selon laquelle le cerveau agit selon trois niveaux de fonctionnement distincts, soit la perception, la cognition et l’action. «Nos données récentes s’opposent à cette hypothèse, mais elles n’entrent pas forcément en contradiction avec l’idée des trois grandes étapes du fonctionnement. Celles-ci ne sont tout simplement pas distinctes ni ségrégées à l’intérieur de différentes populations de neurones dans diverses aires du cortex cérébral», conclut-il.

Dominique Nancy

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