Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 12 - 21 novembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Comprendre la musique de l’autre

L’ethnomusicologue Nathalie Fernando partage son temps entre la Faculté de musique et le Département d’anthropologie de la FAS

Nathalie Fernando

C’est en entendant la musique du peuple ‘aré’aré, de l’ile de Malaita (océan Pacifique), dans un cours d’initiation à l’ethnomusicologie que Nathalie Fernando a décidé de se tourner vers cette discipline.

«J’ai été aussi émue qu’à l’écoute d’une cantate de Bach, se rappelle-t-elle. Malgré la différence des cultures, cette musique me touchait. Je voulais aller rencontrer ces populations – dont je ne pouvais encore qu’appréhender l’univers sonore – pour comprendre ce qui faisait que cette musique était finalement proche de moi.»

Après une formation en musique classique à Marseille puis à Paris, Nathalie Fernando obtient son doctorat en ethnomusicologie à l’Université de la Sorbonne et participe à la création du Laboratoire pluridisciplinaire langues-musiques-sociétés du Centre national de la recherche scientifique, à Paris.

Dès 1994, l’ethnomusicologue s’intéresse à l’Afrique, en particulier aux musiques de tradition orale du Cameroun. Ses recherches visent l’étude des processus de catégorisation des patrimoines musicaux d’une dizaine de communautés et celle de l’interaction entre les cultures.

Au moment où Forum l’a rencontrée, Nathalie Fernando s’apprêtait à partir pour la république du Congo, où elle étendra aux pygmées de la région de Pokola des travaux entrepris avec les pygmées Bedzan du Cameroun.

«Plusieurs groupes pygmées vivent en Afrique centrale, mais tous ne se connaissent pas. Cependant, des éléments de leur musique sont si semblables qu’on peut supposer qu’ils ont été en contact les uns avec les autres à un moment de leur histoire. C’est ce que nous cherchons à déterminer par l’analyse de ces musiques. Grâce à nos résultats, combinés avec ceux d’autres études en cours dans différentes disciplines – en linguistique ou en génétique par exemple –, on pourra peu à peu reconstituer des fragments de leur histoire.»

Mondialisation et tourisme

Tout juste arrivée à l’Université, après avoir enseigné à la Sorbonne et à l’Université de Saint-Étienne, en France, Nathalie Fernando occupe déjà une chaire de recherche du Canada qui l’amènera à collaborer avec des chercheurs du Laboratoire de recherche sur les musiques du monde, dirigé par l’ethnomusicologue Monique Desroches (Faculté de musique), du Laboratoire de recherche sur la musique du monde et la mondialisation, à la tête duquel se trouve l’ethnologue Bob White, et du Laboratoire d’ethnologie et du Centre de ressources en anthropologie visuelle, tous deux du Département d’anthropologie (Faculté des arts et des sciences).

Les travaux de la chaire ont pour objet les impacts de la mondialisation et du tourisme sur les patrimoines musicaux et la catégorisation des formes musicales.

«Les questions que soulèvent ces phénomènes concernent l’équilibre des échanges et le potentiel sur lequel peut compter chaque culture pour évoluer et se renouveler, explique Nathalie Fernando. La mondialisation et le tourisme peuvent, d’une part, contribuer à l’enrichissement mutuel des cultures et à leur valorisation intrinsèque et, d’autre part, être la cause d’une standardisation et d’une érosion progressive de leurs patrimoines respectifs.»

Multidisciplinarité requise

Nathalie Fernando trouve aussi particulièrement féconde, comme avenue de recherche, la sphère des capacités cognitives de l’être humain quant à la conception, la performance et la perception de la musique.

«Dans les sociétés de tradition orale, une pièce n’est jamais jouée deux fois de la même façon. Sa réalisation peut revêtir des formes acoustiques si différentes d’une version à l’autre que l’auditeur étranger à la culture ne la reconnaitra pas. Pourtant, toutes les versions sont considérées comme équivalentes par la population locale. Quelles sont alors les références mentales du musicien et des auditeurs?»

Faute de théorie musicale verbalisée par les musiciens – il n’existe souvent aucun terme technique pour aborder les paramètres musicaux –, les chercheurs doivent concevoir leurs propres outils ou se tourner vers les technologies utilisées dans d’autres champs de recherche, comme l’acoustique ou la psychologie expérimentale entre autres.

«Cela oblige l’ethnomusicologue à imaginer des enquêtes plus interactives, parfois à recréer artificiellement des formes musicales afin que les musiciens puissent tester et valider ou non ses hypothèses», précise Nathalie Fernando.

Musicologie, anthropologie, linguistique, sémantique, sociologie, acoustique…, ce sont toutes des disciplines auxquelles l’ethnomusicologue peut devoir faire appel. Mais Nathalie Fernando souligne qu’avant tout, c’est en tant que musicienne qu’elle communique lorsqu’elle enquête.

«Le plus souvent, c’est un dialogue de musicien à musicien qui nous permet de progresser et d’établir un climat favorable à la recherche, laquelle porte avant tout sur l’homme et ses capacités créatrices. Par ailleurs, les sociétés que nous rencontrons ont des normes collectives sociales, politiques, religieuses, etc. La musique est organiquement liée aux autres pans de la culture. Elle participe à la cohérence d’une société et à l’affirmation de son identité. C’est tout cela qu’il faut avoir en tête lorsqu’on met les pieds dans une autre société qui vit parfois dans un village perdu au fond de la brousse.»

Julie Fortier
Collaboration spéciale

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