Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 12 - 21 novembre 2005
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 Archives de Forum

À la semaine prochaine, dans vos rêves

Les émotions fortes peuvent mettre jusqu’à sept jours avant de se retrouver dans nos rêves

Olivier Jaar, étudiant en psychologie, se prête à une expérience sur le rêve.

Freud avait déjà remarqué que le contenu de nos rêves semble refléter des portions de faits vécus dans les jours précédents. Ce phénomène est maintenant bien établi. «C’est le résultat le plus robuste de nos recherches», déclare Tore Nielsen, professeur au Département de psychiatrie et directeur du Centre d’étude sur le sommeil de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.

Selon ses travaux, les «résidus diurnes» qui surgissent dans nos rêves peuvent remonter à des évènements survenus sept jours auparavant. Pour parvenir à une telle observation, il a dû «programmer» les rêves de sujets en laboratoire.

Réalité virtuelle

«C’est possible en utilisant un stimulus comme un film stressant présenté avant le sommeil, explique M. Nielsen. Par la suite, les sujets qui participent à l’expérience tiennent un journal de leurs rêves pendant deux semaines, ce qui permet de voir si des éléments du film font leur apparition dans les rêves et à quel moment.»

Le professeur emploie maintenant du matériel un peu plus sophistiqué, soit un casque de réalité virtuelle. En mettant le casque de visualisation, le sujet est transporté virtuellement dans un labyrinthe où il peut se déplacer à l’aide d’une souris. Sur le parcours sont disposés divers objets n’ayant aucun rapport avec les lieux.

Ces éléments marquent les rêves dans les jours qui suivent et jusqu’à une semaine plus tard. «Certains rêvent qu’ils sont à l’intérieur d’un jeu vidéo, d’autres voient des corridors ou des pièces carrées, relate Tore Nielsen. Pour d’autres encore, un arbre dans le labyrinthe fera surgir l’image d’une forêt.»

Une autre tâche consiste à suivre, avec un stylet sur un écran, un tracé entre deux lignes; des sujets vont rêver qu’ils empruntent une piste.

Ces exemples mettent en évidence l’une des principales caractéristiques du rêve: si des éléments de la vie diurne y sont présents, ce n’est jamais tels qu’ils se sont présentés dans la réalité. «Ils sont transformés et apparaissent sous forme de métaphores sans qu’on sache pourquoi», souligne le chercheur.

Cette caractéristique rend souvent difficile la recherche de liens avec la mémoire des faits vécus. Le professeur Nielsen est même étonné de constater que plusieurs sujets ou patients de son laboratoire n’établissent pas de rapports entre leurs rêves et des faits marquants de leur vie mentionnés lorsqu’ils sont questionnés. Il faut alors former les sujets à être très attentifs au contenu onirique et à être près de leurs émotions.

Rythmes chronobiologiques

Les travaux de Tore Nielsen ont montré que les résidus diurnes se retrouvent nombreux dans les rêves des deux nuits qui suivent les évènements. Mais les émotions positives, les expériences liées aux déplacements ou à l’espace ainsi que les éléments des relations interpersonnelles vont réapparaitre dans un rêve cinq ou sept jours plus tard. Ce délai d’incorporation est plus évident chez les femmes.

«Le délai est lié au rythme de l’hippocampe, qui gère les émotions et notre rapport avec l’espace, indique le chercheur. Il lui faut une semaine pour transférer les éléments de la mémoire immédiate à la mémoire à long terme. Peut-être que le rêve dans ce cas est un moyen de consolider la mémoire des faits dans le cortex.»

Tore Nielsen compare l’hippocampe à un aimant qui attire et capte les données de l’état de veille, données que le cerveau reproduit de façon perceptuelle pendant le sommeil mais de manière apparemment incohérente pour notre conscience.

Cette séquence d’une semaine n’est pas le seul cycle observé dans les rêves. «Il y a des cycles de 90 minutes entre les périodes de mouvements rapides des yeux – qui sont les principales périodes de rêves – et les autres phases du sommeil, signale-t-il. Nous observons également un cycle de 24 heures: les rêves de fin de nuit sont plus longs et plus émotifs que ceux du début de la nuit. Si l’on perturbe le sommeil en fragmentant la nuit en périodes de 20 minutes puis de 40, ce cycle circadien demeure observable.»

Les femmes présentent même un cycle de 28 jours lié au cycle hormonal. Le rêve est ainsi modulé par les mêmes rythmes chronobiologiques que ceux qui gouvernent l’ensemble de l’activité physiologique, en conclut le professeur.

Pourquoi se rappeler ses rêves?

Mais si les rêves sont si fugaces, ne serait-ce pas parce qu’ils sont tout simplement destinés à être oubliés et qu’on court après son ombre en voulant les cerner à tout prix?

«Si le rêve joue un rôle dans l’apprentissage – ce qui reste à démontrer –, cette influence s’exerce effectivement sans qu’on ait à intervenir et il n’est pas nécessaire de se souvenir de ses rêves, répond Tore Nielsen. Mais il y a aussi des rêves qu’on ne réussit pas à oublier, comme ceux qui surviennent à la suite de situations traumatisantes.»

Ce rappel persistant a sans doute sa raison d’être et ceci montre qu’il y a parfois avantage à se remémorer ses rêves, ne serait-ce que pour prendre conscience d’évènements qui nous marquent à notre insu. «Étudier le rêve et comprendre pourquoi les faits se structurent de cette façon pendant le sommeil permet également de mieux appréhender la façon dont fonctionne la mémoire», ajoute le professeur.

L’ensemble de ses travaux a donné lieu à un texte théorique considéré comme l’une des meilleures synthèses récentes sur le rêve et que Nature Insight a publié dans son numéro du 27 octobre dernier; le texte est cosigné par Philippe Stenstrom, étudiant au doctorat au Département de psychologie.

Ceux qui souhaiteraient participer à des recherches sur le rêve peuvent toujours le faire en communiquant avec le Centre d’étude sur le sommeil (514-338-2693), l’un des plus importants du genre au Canada. Trois projets de recherche sont en cours et portent sur le traitement des cauchemars chez les enfants (6-11 ans) et chez les adultes (18-55 ans) ainsi que sur la paralysie du sommeil.

Daniel Baril

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