Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 13 - 28 novembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

courrier du lecteur

Que se passe-t-il donc à l’Université de Montréal?

Nous voulons, par la présente, faire état auprès du grand public d’une situation qui nous inquiète et qui nous concerne en tant que professeurs et chercheurs à l’Université de Montréal. Pendant 25 ans, de 1975 à 2000, les hausses de salaire des professeurs des universités québécoises ont été déterminées en fonction des ententes survenues entre l’État québécois et sa fonction publique. Les choses se passaient différemment dans les autres provinces. Les universités canadiennes n’étaient pas pour leur part soumises à de telles contraintes. Et puisque l’État québécois a pendant cette période procédé à de nombreuses compressions budgétaires, les salaires moyens des professeurs québécois se sont progressivement éloignés de la moyenne canadienne. Ainsi, parmi les 10 plus grandes universités canadiennes de recherche au Canada (le G10), les trois universités québécoises se retrouvaient sur le plan salarial en 2002 respectivement en 6e (McGill), 8e (UdeM) et 10e place (Laval). Les choses se sont détériorées depuis, et tout indique que notre établissement est maintenant au dernier rang.

L’Université de Montréal est d’ailleurs dans une situation particulièrement difficile, puisqu’elle a à subir un rapport étudiants-professeur plus lourd, soit de 25,2, alors qu’ailleurs au Canada ce rapport se situe à 18. Dans le G10, nous sommes devancés seulement par l’Université de Waterloo, qui a un rapport de 28,2. Il convient de signaler à cet égard les différences importantes avec les États-Unis. Alors que leur clientèle étudiante universitaire progressait de 25%, l’accroissement des effectifs professoraux atteignait 23%. Au Canada, l’augmentation de la population étudiante a ces dernières années été de plus de 40%, tandis que la hausse du nombre d’enseignants était de moins de 10%. À l’UdeM, par exemple, l’effectif professoral n’a augmenté que de 9,7% depuis cinq ans, alors que l’effectif étudiant a connu une hausse de 32%.

De plus, les activités de recherche de l’Université de Montréal ont augmenté de 120% depuis 1998. Bien que l’Université ait l’un des pires rapports étudiants-professeur au pays, elle se classe dans le peloton de tête des universités canadiennes sur le plan des revenus de recherche, et elle n’est devancée en 2003 que par l’Université de Toronto. Et pourtant, les professeurs de l’UdeM sont parmi les moins bien payés au sein du G10. Ils sont maintenant en 10e place, derrière Western Ontario et Laval.

La sourde oreille

Il y a deux ans, l’Université refusait notre demande de rattrapage, mais nous promettait de l’amorcer à la troisième année de la convention collective. Nous sommes présentement dans cette troisième année. Entretemps, le recteur Robert Lacroix a cédé sa place à Luc Vinet, qui vient tout juste d’entrer en fonction. Ce dernier se dit toutefois dans l’impossibilité de faire quelque chose pour le moment, et il nous propose seulement 0,5% de rattrapage pour cette année par rapport à la moyenne canadienne. Le problème du fossé nous séparant du G10 persiste pourtant depuis plusieurs décennies. Nous ne pouvons même pas comparer avantageusement nos salaires avec ceux de l’Université McGill et de l’Université Concordia. Au 1er janvier 2006, les professeurs de l’Université McGill auront en moyenne un salaire de 10% supérieur au nôtre, et l’écart sera de 6,4% si l’on accepte l’offre de la direction. Les professeurs de l’Université Concordia, parvenus dans les échelons supérieurs, gagnent 20 000$ de plus que nos propres professeurs titulaires.

Le recteur nous dit qu’il ne peut rien faire de plus pour le moment, parce que, ainsi qu’il l’a laissé entendre à l’Assemblée universitaire ce mois-ci, l’administration précédente a procédé à des hausses de salaire pour ses administrateurs et engagé des sommes importantes dans des projets immobiliers. En effet, sous le règne de Robert Lacroix, les membres du rectorat se sont accordé des hausses moyennes de 12% au cours des cinq dernières années (60% en cinq ans!), et la masse salariale des cadres supérieurs a augmenté de 85% depuis 1999-2000, alors qu’on propose seulement une hausse de 3,6% aux professeurs pour cette année (indexation de 3,1% + rattrapage de 0,5%). Autrement dit, les deux administrations qui se sont succédé se sont renvoyé mutuellement la balle pour éviter de faire face au redressement salarial qui s’impose. Les revenus de l’Université de Montréal ont augmenté de 63% dans les cinq dernières années, mais apparemment la direction universitaire n’a de sous que pour l’administration et le béton.

Toujours à l’occasion de la même rencontre, le recteur Vinet a prétendu qu’il est entré en fonction avec la ferme intention de procéder à un redressement salarial pour les professeurs. Et pourtant, dans une conférence prononcée devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain le 8 novembre, il n’a nullement été question de corriger la situation. Bien au contraire, le recteur s’est employé à souligner l’importance d’augmenter le taux de diplomation et à vanter à son tour les mérites de la cour de triage d’Outremont.

Des faits troublants

Les difficultés rencontrées à l’occasion de ce conflit avec la direction de l’Université de Montréal viennent s’ajouter à d’autres évènements survenus ces dernières années. Trois choses doivent à cet égard être mentionnées. Premier fait troublant: l’administration de l’Université a refusé de consentir en 2004 l’équité salariale aux 900 femmes faisant partie des employés de soutien. Cela impliquait tout au plus une somme de 1,2 M$, alors que la même administration venait tout juste de consentir quelques mois plus tôt une somme équivalente pour hausser le salaire de ses 60 administrateurs. Deuxième fait troublant: les étudiants des universités du Québec ont eu à subir les affres du gouvernement libéral lorsque celui-ci a décidé de transformer des bourses en prêts. Quel est le rapport avec l’Université de Montréal? La mesure s’inspirait des recommandations du recteur Robert Lacroix à la Commission permanente de l’éducation le 25 février 2004. Troisième fait troublant: en dépit de la recommandation unanime du comité de consultation, du Syndicat des professeurs et de l’Assemblée universitaire en faveur de la vice-rectrice de l’Université Queen’s au poste de recteur, le Conseil de l’Université de Montréal a décidé de passer outre et de procéder à la nomination de M. Luc Vinet.

Des fractures appréhendées

Il s’agit très clairement d’une mauvaise tangente prise par les administrateurs universitaires. Ceux-ci s’éloignent de plus en plus de la base (des étudiants, des professeurs et des employés de soutien) et se croient tout permis. Les professeurs n’ont jamais fait la grève à l’Université de Montréal. Depuis 30 ans, les négociations trainent en longueur chaque fois qu’on tente d’améliorer un tant soit peu la convention collective. Compte-t-on une fois de plus sur la patience légendaire des professeurs pour reporter encore à plus tard le redressement qui s’impose? Se livrera-t-on encore à des mesures mesquines pour manipuler les professeurs et les avoir à l’usure? Aussi, il ne faut pas s’étonner de nous voir maintenant hausser le ton. Les administrateurs abusent de notre patience et ne tiennent pas leurs promesses. Ils se déresponsabilisent en se renvoyant la balle d’un recteur à l’autre, et ils choisissent de ne pas prendre en compte nos revendications légitimes. On peut même se demander si le recteur actuel exerce un certain contrôle sur son comité de négociation. Les professeurs commencent donc à en avoir assez. Ils veulent que soit comblé progressivement le fossé salarial avec les autres universités du G10. Ils veulent que cessent les tergiversations de leur administration universitaire. Ils veulent que soit rétabli l’équilibre des forces en présence au sein de l’Université. Sans un tel redressement rapide de la situation, le climat risque de se détériorer. Cela risque en effet de créer des fractures à long terme réunissant les professeurs, les étudiants et les employés de soutien contre une direction qui aura trop longtemps fait la sourde oreille.

Guy Rocher
Professeur au Département de sociologie et chercheur au Centre de recherche en droit public

Michel Seymour
Professeur au Département de philosophie

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