Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 13 - 28 novembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les enfants et la recherche: à manipuler avec soin

La Dre Bernard-Bonnin présente le fruit de ses réflexions sur les enjeux éthiques de la recherche biomédicale sur les enfants

L’inhalateur Flovent aux enfants de moins de un an, est-ce une bonne idée?

L’inhalateur Flovent, bien connu des asthmatiques, est employé sur des enfants de moins de un an même si aucune étude clinique faisant état d’un usage si précoce n’est citée dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques, la bible des pharmaciens. «C’est un cas typique, mentionne la pédiatre Anne-Claude Bernard-Bonnin, membre du Comité d’éthique de la recherche (CER) de l’Hôpital Sainte-Justine. Sur le plan éthique, nous serions bien malvenus de ne pas offrir aux bébés asthmatiques un médicament reconnu pour son efficacité chez les sujets plus âgés. Mais d’un autre côté, nous ignorons les effets secondaires d’une telle utilisation sur des enfants si jeunes.»

Au cours d’une conférence publique donnée la semaine dernière au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit, la Dre Bernard-Bonnin a présenté le fruit de ses réflexions sur les enjeux éthiques de la recherche biomédicale sur les enfants. Elle était accompagnée pour l’occasion du président du CER, l’éthicien Jean-Marie Therrien, et de la juriste Geneviève Cardinale, membre du Comité depuis 1999.

La recherche biomédicale sur les enfants, a expliqué la spécialiste à Forum quelques jours avant la conférence, comporte plusieurs défis qui ne sont pas toujours pleinement compris par le personnel hospitalier. «Les enfants sont des sujets de recherche particuliers parce qu’ils ne sont pas légalement responsables des décisions qui les concernent, souligne-t-elle. Ils doivent donc être protégés avec plus d’attention que les sujets adultes.»

La pédiatre donne l’exemple d’un projet de recherche qui prévoit des prises de sang. Pour l’adulte familiarisé avec cet acte, c’est un élément négligeable. Mais de nombreux enfants ont horreur des seringues. Certains sont stressés, voire traumatisés par les manipulations de l’infirmière et la vue de leur flot sanguin. De plus, les enfants sont très souvent isolés de leurs parents durant les tests et placés dans un environnement non familier.

Des centaines de recherches

Le travail, souvent bénévole, d’un membre du CER n’est pas de tout repos. À l’ordre du jour de la prochaine réunion: examiner sept nouveaux protocoles de recherche et trois amendements à des projets en cours. De plus, les membres devront réétudier sept projets approuvés l’an dernier. «C’est comme ça chaque fois», dit la pédiatre Anne-Claude Bernard-Bonnin, qui se présente à la réunion bimensuelle du Comité depuis quatre ans. Parmi les autres membres, on trouve un hémato-oncologue, une infirmière spécialisée en recherche clinique, une pharmacienne, un chercheur et deux représentants du public.

En plus de sa pratique clinique et de l’enseignement, la Dre Bernard-Bonnin avoue rogner sur ses temps libres, le soir et la fin de semaine, pour scruter chaque protocole et les formulaires de consentement. Mais elle ne s’en plaint pas, considérant que cette tâche va de soi quand on est médecin dans un hôpital universitaire. «Un comité d’éthique de la recherche est parfois mal perçu. Pourtant, nous sommes là pour protéger les enfants et pour aider les chercheurs à faire leur travail de la meilleure façon possible», indique-t-elle.

Actuellement, il y a plus de 400 projets en cours à l’Hôpital Sainte-Justine. Mais les nouveaux projets se comptent par dizaines annuellement et quelques-uns durent depuis plusieurs années. Il y a eu 167 projets approuvés l’an dernier par le CER du centre hospitalier mère-enfant. Certains sont locaux, d’autres muticentriques. Mais dans tous les cas, une approbation du CER est exigée.

La recherche auprès des enfants est essentielle, estime le médecin, compte tenu du fait qu’à peine une prescription sur deux, selon une étude publiée en 2000, aurait été cliniquement validée. «Le dilemme éthique est le suivant: ou l’on refuse de traiter les enfants avec des médicaments potentiellement bénéfiques, ou on les traite selon des données obtenues auprès des adultes et qu’on a tenté d’ajuster selon un usage empirique anecdotique.»

Ce dilemme est encore plus complexe dans les cas où les études cliniques sont impossibles à réaliser chez les adultes, comme toutes ces recherches sur la croissance, le développement de l’enfant. Et l’on ne parle pas ici de problèmes strictement médicaux. «La participation d’un enfant à une recherche en psychologie où il doit raconter à répétition des épisodes pénibles de sa vie, cela pose de sérieux problèmes éthiques», relate-t-elle.

Trois principes

Durant sa conférence, la Dre Bernard-Bonnin a nommé les grands principes qui guident ce type de recherche: la justice, la bienfaisance et l’autonomie. «Toute l’éthique de la recherche se base sur ces trois éléments», affirme-t-elle. Mais comment aborder l’autonomie et le consentement quand une personne ne prend pas seule les décisions qui la concernent?

Il s’agit tout compte fait d’une question de gestion du risque. Mais la spécialiste rappelle que l’ampleur d’un risque dépasse parfois son importance statistique. Par exemple, si l’on évalue les risques de décès à 1 enfant sur 10 000 au cours d’une recherche, c’est plus grave qu’une étude où les effets secondaires peuvent indisposer temporairement 1 sujet sur 1000. «Il faut tenter de trouver un équilibre entre préjudice, bienfait et probabilité», résume la pédiatre.

Pour le personnel médical, des aspects subjectifs et objectifs interviennent dans le jugement. La perception du risque est une affaire d’influence sociale, culturelle et politique, où les croyances personnelles, familiales et communautaires entrent en jeu. C’est pourquoi il faut obtenir davantage de données sur les soins destinés aux enfants.

Mathieu-Robert Sauvé

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