Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 13 - 28 novembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Traquer les sources génétiques de l’hypertension

Les Tremblay, de Chicoutimi, participent à une percée médicale

Pavel Hamet

M. Tremblay ne fume pas et ne présente pas d’excès de poids. Pourtant, au cours d’une visite de routine chez son médecin de famille, il voit celui-ci plisser les yeux à la lecture de sa pression artérielle: 140/90. «C’est haut», dit simplement le professionnel de la santé.

Comme cinq millions de Canadiens, M. Tremblay souffre d’hypertension artérielle. Mais de quelle forme d’hypertension est-il atteint? «Cette question est importante, car il en existe plusieurs types et, si vous traitez le mauvais, vous prescrivez à votre patient un médicament inutile», explique l’endocrinologue Pavel Hamet, l’un des chercheurs les plus réputés de l’heure en matière d’hypertension artérielle.

Le professeur Hamet traque les origines complexes de ce fléau, qui touche près du quart de la population adulte. On sait depuis longtemps que l’élévation anormale de la tension artérielle est accentuée par le stress, la sédentarité et l’obésité, mais c’est sa composante génétique qui intéresse surtout le médecin originaire de Prague. «Comme pour de nombreuses maladies complexes, l’environnement joue un rôle majeur dans l’hypertension, souligne-t-il. Mais on estime que le facteur génétique est responsable d’environ 50% de son incidence.»

Cela signifie que même les personnes qui ont un poids santé et qui détestent l’odeur du tabac peuvent souffrir d’hypertension artérielle. Leur seul bagage génétique les place en état de risque de mort subite, surtout si elles ne s’alimentent pas adéquatement et font peu d’exercice.

Mais ce n’est pas le seul mystère de l’hypertension artérielle. On sait que les effets de cette affection sont différents selon notre origine. Chez les Noirs, on note plus de problèmes rénaux; chez les Asiatiques, plus de problèmes cérébrovasculaires; et chez les Blancs, plus d’infarctus.

C’est l’approche pharmacologique qui pourrait avoir le plus à gagner si l’équipe de Pavel Hamet précise les composantes génétiques de l’hypertension. Ce qui pourrait arriver d’ici 10 ans.

Si une telle percée se réalise, M. Tremblay pourrait recevoir un médicament beaucoup plus approprié à son état que celui que son médecin peut aujourd’hui lui offrir. La procédure serait simple: une analyse de sang effectuée au laboratoire de l’hôpital afin de déterminer les gènes associés à une forme ou l’autre de la maladie, et la pharmacie de l’hôpital acheminerait au patient le médicament adapté à son hypertension.

Grâce au Saguenay

L’hypertension artérielle tue. Mais c’est un tueur silencieux, car, sur les cinq millions de Canadiens qui en sont atteints, 43% d’entre eux l’ignorent, selon les résultats d’un sondage Ipsos-Reid publiés en 2003. Du nombre, 21% des Québécois souffrent d’hypertension, une proportion légèrement inférieure à la moyenne canadienne (22%). «Mais ils fument davantage», précise le Dr Hamet.

Avec son équipe du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (où il dirige le centre de recherche et le service de médecine génique), le Dr Hamet a contribué à définir deux formes d’hypertension. L’une est liée à l’obésité et à des troubles métaboliques, et l’autre non. Ces deux formes nécessitent des interventions thérapeutiques très distinctes.

Les connaissances médicales acquises au CHUM seront utiles aux médecins des quatre coins du monde, mais c’est grâce à la population canadienne-française qu’elles ont été rendues possibles. Plus particulièrement grâce aux innombrables M. et Mme Tremblay du Saguenay. «On a choisi la population du Saguenay non parce qu’elle est plus nombreuse à présenter des symptômes, mais parce qu’elle est plus facile à reconstituer, génétiquement, jusqu’à ses origines, observe-t-il. Après avoir ciblé des individus aux prises avec différentes formes d’hypertension, on a pu remonter jusqu’à 15 générations, soit jusqu’aux premiers arrivants. On a donc pu établir des effets fondateurs.»

À l’aide du fichier Balzac, mis sur pied par Gérard Bouchard, professeur au Département de démographie de l’Université du Québec à Chicoutimi, on a pu entreprendre une telle plongée dans l’histoire. «Nous avons utilisé deux pistes pour parvenir à nos fins. La première, assez classique, consiste à travailler avec les patients issus de recherches cliniques. La seconde est la piste démographique, qui nous a permis de remonter quatre siècles en arrière, chez 113 familles composées d’environ 20 000 membres. Nous étions le seul endroit du monde où une telle entreprise était possible», relate le Dr Hamet.

L’équipe s’est aussi servie de modèles animaux pour confirmer ses hypothèses. Et des études auprès de centaines de patients sont en cours dans plusieurs pays. Tout est pris en compte: les gènes, le stress et les facteurs émotifs, le régime alimentaire, la pharmacothérapie, l’activité physique, l’environnement socioéconomique et géophysique, etc. «Les gens du Saguenay ont participé admirablement à la recherche», louange-t-il.

La prévention comme économie

Depuis qu’il a déposé ses valises à Montréal en provenance de l’Europe de l’Est afin de poursuivre ses études à l’Université McGill, en 1968, le chercheur n’a jamais cessé de contribuer à l’essor des connaissances. Il a signé plus de 400 publications et prononcé plus de 700 conférences dans des congrès internationaux. On peut dire que, à force d’étudier l’hypertension, le Dr Hamet est devenu... hyperactif.

Quelques jours avant son entrevue avec Forum, il était à Salt Lake City, au congrès de l’American Society of Human Genetics pour présenter l’état de ses travaux, parallèlement au lancement de la carte haplotype du génome humain par la revue Nature. Et le lendemain, il partait pour deux jours à Paris, où il espérait trouver un petit moment pour aller marcher sur les bords de la Seine.

Ce qui le fait courir? «Prévenir la maladie», indique-t-il sans broncher. À l’écouter prétendre que les chercheurs sont capables de repousser la mort, on se demande s’il ne va pas un peu loin... «Pas du tout, répond-il. À 12 ans, j’ai connu des élèves de ma classe qui sont morts de la polio, à Prague. L’année après, les vaccins sont arrivés et l’on n’a plus connu de décès dus à la polio. L’espérance de vie ne cesse d’augmenter. Elle était de 45 ans au Québec il n’y a pas si longtemps.»

La recherche en santé, poursuit-il, permet de s’attaquer aux maladies à leur source. Cela constitue autant d’économies au bout de la ligne, car des gens moins malades ont besoin de moins de soins.

Mathieu-Robert Sauvé

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