Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 13 - 28 novembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

capsule science

Les autochtones sont-ils des citoyens privilégiés?

 

«Avec Super Écono, plus besoin d’habiter à Kahnawake pour ne pas payer cher de chauffage!» Cette publicité d’une compagnie de mazout exploite un préjugé populaire à l’égard des autochtones. En témoigne l’annonce parue, pleine page en 1994, dans plusieurs journaux montréalais. En plus petits caractères, on pouvait lire: «Avec Super Écono, pas de passe-droit! Tout le monde profite du meilleur service aux meilleurs prix possibles. Parce qu’avoir chaud en hiver, ce n’est pas un privilège, c’est une nécessité.»

Cette présomption voulant que les autochtones, sans distinction, soient des «exploiteurs du système» semble fort répandue. Un sondage SOM, réalisé la même année pour le compte de La Presse et de Télé-Québec, révélait que 52% des Québécois francophones étaient d’avis que les conditions de vie des autochtones dans les réserves étaient aussi bonnes que les leurs, sinon supérieures. Les autochtones sont-ils aussi privilégiés qu’on le prétend?

«Au contraire, affirme Andrée Lajoie. On a pris leurs territoires, leurs droits et on nie leur autonomie politique.» De l’idée de «privilège» on semble avoir glissé, sans trop s’en rendre compte, vers celle du «privilégié». «En tout cas, la réalité quotidienne dans la majorité des communautés autochtones est tout à fait à l’opposé de cette perception, dit la professeure de la Faculté de droit. Tous les indicateurs sociaux, que ce soit le revenu, la scolarité, la santé ou le taux de chômage, témoignent plutôt de la pauvreté et du faible niveau de vie des autochtones.»

Le ministre délégué aux Affaires autochtones qualifie même les conditions de vie de cette population de «sous-développement dans presque tous les secteurs». Dans un rapport, il met en relief «le fait que les autochtones ont un taux d’analphabétisme quatre fois plus élevé que le taux québécois, une mortalité infantile trois fois et demie plus grande, un taux de suicide six fois plus élevé pour les moins de 20 ans, des revenus inférieurs de 33%...»

On est loin du mythe du bon sauvage vivant en harmonie avec la nature ou de l’image de l’Indien se livrant à la contrebande de cigarettes.

Selon cette spécialiste du droit autochtone, depuis les évènements d’Oka, à l’été 1990, les relations entre les peuples québécois et autochtone ont été marquées par une atmosphère de confrontation. «C’est dans ce contexte qu’est apparue la conception de l’Indien privilégié ne payant ni impôts ni factures d’électricité», souligne-t-elle. La professeure rappelle qu’au Québec il n’y a pas eu de traité concédant l’abandon des droits autochtones. «Ils ne sont pas assujettis au droit canadien puisqu’ils n’ont pas été conquis.» D’après la chercheuse, les tensions qui résultent de cet état de choses obligent à trouver de nouvelles façons d’assurer des relations harmonieuses entre la société des Blancs et celle des autochtones et qui aillent au-delà des ententes sporadiques souvent conclues à la suite de crises majeures.

Andrée Lajoie, qui a agi à titre de consultante en 1996 pour la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones, est l’auteure de Quand les minorités font la loi. Dans cette étude publiée aux Presses universitaires de France, elle analyse la mesure dans laquelle les valeurs des autochtones ont été intégrées dans le droit canadien. Malgré le titre de l’ouvrage, les propos de l’auteure ne laissent rien croire de tel. «Même si elles ont eu une influence très importante sur les modes contemporains de production du droit, allant jusqu’à renverser la pyramide de la hiérarchie des normes, les minorités font encore les frais de la conciliation, qui ne se réalise qu’à leurs dépens, et leurs intérêts ne seront satisfaits que dans la mesure où ils seront acceptables aux différents groupes dominants auxquels ils s’opposent», écrit la professeure en guise de conclusion.

Dominique Nancy

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