Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 14 - 5 dÉcembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

L’émotion vocale trace le «visage auditif»

L’analyse des vocalisations et des visages passe par une même interface cérébrale

Shirley Fecteau

Bien avant de savoir parler, le nouveau-né est en mesure d’exprimer vocalement des émotions, que ce soit le plaisir, la peine, la douleur, la faim ou le contentement. Ces vocalisations non linguistiques n’ont reçu que très peu d’attention de la part des chercheurs.

Shirley Fecteau fait figure de pionnière dans le domaine puisqu’elle a consacré ses travaux de doctorat à l’étude de ces composantes méconnues de la communication. «La vocalisation non linguistique fait partie de notre quotidien et joue un rôle essentiel dans le fonctionnement psychologique et dans le maintien des relations interpersonnelles, affirme-t-elle. On sait que, chez les primates, les cris et pleurs expriment des états affectifs différents, mais chez les humains on s’est surtout intéressé au langage parlé et rarement aux expressions vocales non linguistiques.»

Différences selon l’âge et le sexe

Comme les yeux, la voix est en quelque sorte le miroir de l’âme. Elle livre une quantité phénoménale d’informations sur l’âge, le sexe, l’appartenance sociale, la provenance et aussi l’état émotif du locuteur.

Dans son doctorat codirigé par Yves Joanette et Pascal Belin, du Groupe de recherche en neuropsychologie expérimentale et cognition, Shirley Fecteau a cherché à savoir si tous perçoivent de la même façon diverses vocalisations exprimant des émotions. Pas moins de 563 sons vocaux, produits par des actrices et des acteurs professionnels, ont été utilisés pour rendre quatre états affectifs, soit le rire, les pleurs, le plaisir sexuel et la peur, et un état neutre exprimé par la toux ou le raclement. Les sujets devaient indiquer non seulement la valence de ces états, mais aussi l’intensité et l’authenticité des émotions traduites.

«Une première différence est apparue selon l’âge des sujets qui participaient à l’expérience, explique la chercheuse. Les sujets plus jeunes, dont la moyenne d’âge était de 22 ans, ont attribué plus d’intensité à la fois aux émotions positives et aux émotions négatives que les sujets dans la quarantaine et dans la cinquantaine.»

Une telle différence selon l’âge est également observée dans les travaux portant sur la désignation d’expressions du visage. Selon Shirley Fecteau, ceci pourrait être lié au vieillissement du lobe frontal, dont l’atrophie normale et partielle peut rendre la réaction des gens d’âge moyen moins prompte face aux stimulus émotionnels. L’expérience de vie, qui entraine un plus grand autocontrôle, peut également être un facteur explicatif.

Une autre différence est apparue selon le sexe. Les femmes d’âge moyen ont attribué moins d’authenticité aux émotions exprimées que ne l’ont fait les hommes et les jeunes femmes, et ceci, particulièrement en ce qui concerne les vocalisations sexuelles! Les femmes d’expérience seraient-elles plus habiles que les hommes à percevoir la simulation du plaisir? «Il ne faut pas trop spéculer, répond Mme Fecteau, et ce résultat devra être confirmé par d’autres travaux avant que toute interprétation soit proposée.»

Une zone spécifique à la voix de l’espèce

Shirley Fecteau a également voulu savoir comment notre cerveau traitait les renseignements livrés par les vocalisations non linguistiques.

En recourant à l’imagerie cérébrale, son codirecteur Pascal Belin avait déjà démontré que des zones du cerveau sont spécifiquement liées à la reconnaissance de la parole et restent inactives même lorsque des stimulus sonores sont acoustiquement très voisins de la voix. Shirley Fecteau a repris l’expérience, mais en employant les vocalisations émotives ainsi que des cris d’animaux, des bruits de l’environnement et de la musique.

L’expérience a montré que les mêmes régions que celles associées à la reconnaissance de la voix sont activées lorsqu’il s’agit de vocalisations non linguistiques. «Des zones du lobe temporal supérieur s’activent lorsqu’il s’agit de vocalisations animales ou humaines, mais certaines régions réagissent plus fortement aux stimulus vocaux humains», a-t-elle noté. Il s’agit de la première démonstration de l’existence, chez l’être humain, d’une zone spécifique à la reconnaissance des vocalisations propres à l’espèce.

Visage auditif

Le profil de l’activation neuronale liée aux vocalisations émotives présente par ailleurs plusieurs similitudes avec celui de la reconnaissance faciale des émotions, notamment pour ce qui est de l’amygdale et du cortex orbitofrontal.

Les deux expériences de Shirley Fecteau tendent donc à montrer que les vocalisations sont l’équivalent sonore de l’expression faciale: «Elles constituent le “visage auditif”», déclare la chercheuse. La voix s’ajoute en fait aux expressions faciales pour en compléter ou en préciser le sens; les deux types de stimulus sont analysés par le même processus cérébral tout en mettant en action des zones qui leur sont spécifiques.

Ces travaux, réalisés au centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, ouvrent de nombreuses pistes de recherche: les vocalisations non linguistiques sont-elles perçues universellement de la même façon? Quels sont les facteurs à l’œuvre dans leur modification au fil des âges? Quelle est la part de l’inné et de l’acquis dans le décodage de leur signification? Le cerveau des gens en contact régulier avec des voix animales traite-t-il les voix humaines de la même manière que les autres personnes?

Grâce à une bourse du Fonds de la recherche en santé du Québec, Shirley Fecteau poursuit ses travaux autour de ces questions à la Harvard Medical School en s’intéressant, entre autres, à la plasticité cérébrale chez les aphasiques.

Daniel Baril

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