Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 17 - 23 janvier 2006
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 Archives de Forum

La réversion sexuelle: une anomalie qui demeure mystérieuse

Le laboratoire de Nicole Lemieux étudie les cas de transfert de gènes masculins du chromosome Y au chromosome X

Présence anormale de deux chromosomes X chez un homme et du gène SRY sur l’un d’eux.

Quoi qu’en dise l’adage, la nature ne fait pas toujours bien les choses; certains hommes possèdent des chromosomes sexuels féminins et certaines femmes ont la paire caractéristique des hommes. Ce sont des cas de réversion sexuelle, un phénomène qui ne se produit qu’une fois sur 20 000 naissances.

Nicole Lemieux, professeure au Département de pathologie et biologie cellulaire de la Faculté de médecine et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, travaille depuis plusieurs années sur ces cas de réversion sexuelle chez les hommes.

«Il faut tout de suite établir que le phénomène n’a rien à voir avec l’homosexualité ni avec la transsexualité, tient à préciser la chercheuse. Différents développements anatomiques peuvent résulter d’une réversion, mais bien souvent le seul problème décelable est la stérilité.»

Pour bien comprendre de quoi il s’agit, un petit cours de biologie 101 s’impose. Les êtres humains possèdent 23 paires de chromosomes; la 23e paire, celle des chromosomes sexuels, est constituée chez les femmes de deux chromosomes identiques, les chromosomes X; chez les hommes, cette paire est composée d’un chromosome X accompagné d’un second beaucoup plus petit appelé chromosome Y.

C’est sur le chromosome Y que se trouvent la plupart des gènes essentiels au développement des caractères masculins. Dans les cas de réversion sexuelle, l’homme se retrouve avec deux chromosomes X et la femme avec un chromosome X et un Y.

Récemment, l’équipe de Nicole Lemieux publiait les résultats de l’analyse cellulaire d’un cas rarissime mettant en cause des jumeaux identiques. Ces deux hommes adultes étaient anatomiquement tout à fait normaux, la seule différence notable étant leur taille, plus petite que la moyenne. C’est l’infertilité qui les a amenés à consulter un médecin. Certains hommes peuvent donc être porteurs de deux chromosomes X sans jamais le savoir si un tel symptôme ne les préoccupe pas.

Selon Nicole Lemieux, les cas de femmes porteuses d’un chromosome Y sont par contre plus nombreux en clinique parce que l’absence de menstruations à la puberté va les conduire chez un médecin.

Transfert du SRY

Mais comment deux chromosomes X peuvent-ils donner un homme et, inversement, un X et un Y donner une femme?

«Le problème se produit au moment de la division des cellules sexuelles du père, explique Martin DesGroseilliers, qui a consacré son doctorat à l’étude de ce phénomène. Pendant la méiose, les chromosomes X et Y échangent une partie de leur matériel; mais il arrive que la portion d’échange de l’ADN soit trop grande. Dans le cas des réversions sexuelles, le gène SRY, qui se situe juste au-dessous de la zone normale d’échange, est transféré au chromosome X alors qu’il devrait normalement demeurer sur le Y.»

Le gène SRY est celui qui détermine l’expression des caractères masculins. Même lorsqu’il se trouve accidentellement sur le chromosome X, ceci ne l’empêche pas de s’exprimer, d’où le développement de traits masculins.

«On connait actuellement une dizaine de gènes qui interviennent dans le développement sexuel masculin et le SRY figurerait au sommet de la cascade, indique Mélanie Beaulieu Bergeron, qui poursuit elle aussi son doctorat sur le sujet. C’est le SRY qui déclencherait la cascade et qui induirait l’expression des autres gènes.»

Plus le matériel transféré par accident est important, plus l’individu sera d’apparence masculine normale, comme le sont les jumeaux de l’étude. La stérilité est due au fait que tout le matériel génétique du chromosome Y n’est pas transféré; ceci empêche les testicules d’atteindre leur plein développement et les spermatozoïdes de parvenir à maturité.

Si le matériel génétique transféré est faible, des malformations des organes génitaux seront alors apparentes. «Il peut en résulter des cas d’ambigüité sexuelle, où les organes sont mal développés ou développés de façon incomplète, reprend Nicole Lemieux. On observe aussi des cas d’hermaphrodisme, où la personne peut posséder à la fois un testicule et un ovaire.»

Chez les femmes

Il arrive que le gène SRY soit également en cause dans la réversion sexuelle chez les femmes porteuses d’un chromosome Y. «Ici, le SRY est ou bien absent du chromosome Y, ou bien présent sous une forme mutée qui l’empêche de s’exprimer normalement», fait observer Nicole Lemieux. En l’absence d’expression de caractères masculins, c’est le développement féminin qui domine.

Chez ces femmes, on procède habituellement à l’ablation des gonades parce que ces tissus développés de manière anormale sont à haut risque de cancer.

Les recherches sur la réversion sexuelle sont difficiles à mener non seulement en raison du faible nombre de cas, mais aussi parce que les personnes concernées réagissent souvent mal à l’annonce de cette particularité, souligne la chercheuse. «Ce diagnostic met en cause leur identité et leur appartenance sexuelle même si tout le reste de leur développement est normal», dit-elle.

La réaction est plus vive chez les femmes, car l’infertilité est plus dramatique pour elles. De plus, elles se voient porteuses d’un attribut masculin qui ne s’est pas exprimé, ce qui peut perturber leur identité profonde.

Les travaux de l’équipe de Nicole Lemieux visent ultimement à mettre au point des marqueurs génétiques qui permettront de préciser le nombre de gènes anormalement transférés dans chaque cas de réversion pour éclaircir le rôle de chacun d’eux dans le développement sexuel.

Daniel Baril

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