Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 17 - 23 janvier 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Pas facile d’être homosexuel dans l’armée et la police...

Michèle Fournier rédige la première thèse au Québec sur l’homosexualité dans l’armée et la police

L’homosexualité et l’armée ne forment pas nécessairement un couple harmonieux.

Pierre, 47 ans, qui est dans les Forces canadiennes depuis 15 ans, vit avec une certaine difficulté sa marginalisation depuis que les soldats de son bataillon ont appris qu’il est homosexuel. «Il y a un vide autour de moi et je vis de l’isolement», a-t-il confié à la criminologue Michèle Fournier dans le cadre de sa thèse de doctorat qui vient d’être déposée à l’Université.

Quand Pierre est en mission, le moment de dérouler le sac de couchage est toujours un peu particulier. «Si je m’installe au début, j’ai remarqué que les gars vont tous aller à l’autre bout de la tente.» Dans la douche, c’est encore plus évident: personne ne veut avoir à se laver en compagnie d’un «fifi», d’une «tapette». «Il y a des jokes méchantes qui se font dans l’armée sur les homosexuels. Si les gens savaient que je suis gai, j’en entendrais beaucoup plus. On me provoquerait, j’en suis convaincu», affirme Carl, de Québec, qui est dans l’armée depuis trois ans, mais tient à garder secrète son orientation sexuelle.

Dans la première thèse rédigée au Québec sur l’homosexualité dans l’armée et la police, Michèle Fournier a pu obtenir les témoignages de 10 militaires et 11 policiers gais, auxquels elle a ajouté deux entretiens avec des officiers hétérosexuels des deux institutions afin de bien cerner la réalité. La thèse, qui totalise 433 pages, fait état d’un bon nombre de problèmes liés à l’identité sexuelle, mais conclut sur une note positive. «Il est aujourd’hui possible pour les homosexuels de mener une carrière dans l’armée et dans la police, ce qui aurait été impensable il y a quelques années, peut-on lire. Bien que les choses ne soient pas toujours faciles, l’armée et la police ont fait d’importants progrès en matière de tolérance et d’acceptation de la différence.»

Pierre souligne cependant qu’il lui est possible de vivre son homosexualité sans trop souffrir d’ostracisme. Comme lui, un nombre grandissant de militaires font leur coming out en assumant les risques auxquels ils s’exposent. «Pour moi, cela ne fait aucune différence si le gars ou la fille peut faire le travail, qu’il soit gai ou qu’elle soit lesbienne. On n’est plus dans les années 50, il faut que l’armée évolue», déclare un militaire de carrière (hétérosexuel) qui témoigne des changements de mœurs constatés par la criminologue.

Les policiers de Montréal favorisés

C’est encore plus vrai si l’on est policier à Montréal. Si les agents gais du service de police de la métropole conviennent que leur milieu de travail est plutôt conservateur, ceux que la criminologue a rencontrés étaient d’avis qu’il s’était graduellement ouvert à l’homosexualité. «Ces policiers ont rapporté peu d’expériences personnelles liées à l’homophobie, révèle Michèle Fournier. Tous assumaient bien leur choix.»

À Montréal, l’existence d’une importante communauté gaie a conduit depuis longtemps les forces de l’ordre à faire montre de tolérance et à davantage accepter cette réalité. Également, on compte près d’un tiers de femmes dans les corps policiers, alors qu’elles ne sont que 11% chez les militaires (la présence de femmes serait un gage de largeur d’esprit, selon la chercheuse).

Le monde militaire est beaucoup plus «replié sur lui-même» que le milieu policier, tient à ajouter Michèle Fournier. «Les agents de police ont des contacts quotidiens avec le monde civil; les militaires, eux, en sont souvent coupés, signale-t-elle. Aussi, la promiscuité est moins grande chez les policiers. On ne dort pas ensemble par exemple.»

La thèse de Mme Fournier s’est limitée au service policier montréalais. Il faudrait éviter de tirer des conclusions sur l’ensemble des policiers québécois ou canadiens.

Mme Fournier a démontré une grande détermination pour parvenir à réunir un à un ses 21 sujets de recherche homosexuels (parmi lesquels figurent 10 lesbiennes), d’autant plus que certains n’avaient pas officiellement annoncé leur orientation dans leur environnement de travail. Elle les a joints par des médias comme la revue Fugues ou l’émission Sortie gaie, mais aussi par des affiches placardées dans le village et par le bon vieux «bouche à oreille». Au cours des quatre années qu’elle a consacrées à son sujet, elle a connu quelques moments de découragement, mais ses directeurs de recherche, Marie-Marthe Cousineau et Jean-Paul Brodeur, ont trouvé les mots qu’il fallait pour la ragaillardir.Pas de gais dans les rangs

Son étude, qui se lit comme un roman, inclut une comparaison très détaillée avec la situation des policiers et militaires gais des États-Unis, d’Australie, de Grande-Bretagne, d’Israël et d’Afrique du Sud. À la lecture de ce chapitre, on constate que le Canada semble assez exemplaire en matière de respect des minorités sexuelles.

Mais les choses n’ont pas toujours été ainsi, comme en témoigne Marc-André, 46 ans, dans l’armée pendant 25 ans. «Je me souviens que, mes premières années, il n’était pas question de s’afficher comme gai parce qu’il y avait ce qu’on appelait des chasses aux sorcières, relate-t-il. C’est à qui trouvait un fifi et le dénonçait [...] Alors c’est certain qu’on se tenait tranquilles, pour moi il n’était pas question d’avoir un chum à l’époque.»

Il faut dire que, jusqu’en 1988, le fait d’être homosexuel était suffisant pour être renvoyé de l’armée canadienne. Cette année-là, on a officiellement «toléré» les gais dans les rangs, mais toute promotion leur était interdite. En 1992, ce motif de renvoi, basé sur l’orientation sexuelle, était définitivement déclaré contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et rejeté.

Dans plusieurs pays, dont les États-Unis, cette situation prévaut encore de nos jours. Durant le mandat du président Bill Clinton, la politique du «Don’t tell, don’t ask» a eu gain de cause. Elle signifie: «Ne dites pas que vous êtes gai, on ne vous posera pas de questions.» Toutefois, si un militaire est reconnu homosexuel, on le met à la porte.

La discrimination envers les homosexuels dans l’armée est dénoncée par les groupes gais. Ceux-ci ont leur martyr en la personne de Leonard P. Maklovitch, qui a reçu des honneurs militaires à la suite de ses faits d’armes au Viêtnam, mais qui a été banni des effectifs après avoir fait sa «sortie» à la une du Time Magazine en 1975. Bien que la Cour d’appel ait ordonné sa réintégration au sein de l’armée, celle-ci a plutôt offert au soldat une généreuse somme d’argent pour qu’il y renonce. Peu avant sa mort, Maklovitch a fait inscrire sur sa pierre tombale: «When I was in the military, they gave me a medal for killing two men, and a discharge for loving one.» («L’armée m’a donné une médaille pour avoir tué deux hommes et m’a renvoyé pour en avoir aimé un.»)

Mathieu-Robert Sauvé

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