Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 17 - 23 janvier 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

L’intelligence artificielle gèrera l’épandage d’abrasifs sur nos routes

Le CRT crée un logiciel de gestion pour le ministère des Transports

La journée du 18 janvier a pris l’allure d’un test pour les employés de la Ville de Montréal. Sur notre photo, un employé répand du sable sur le chemin de la Côte-des-Neiges.

On annonce de légères chutes de neige au cours des prochaines heures sur les routes des Cantons-de-l’Est. Il fait -11 °C, mais les thermomètres dans la chaussée rapportent des températures de -15 °C à -13 °C pour le bitume. Yves Fournaise, contremaitre au Centre de service de Richmond, doit prendre rapidement une décision quant au choix des abrasifs à épandre sur le réseau routier: du sel, du sable ou du calcium? «Aujourd’hui, on a opté pour un mélange de deux parties de sable pour une partie de sel», dit-il.

Jusqu’à maintenant, ce calcul s’est toujours fait «à la mitaine», en se référant à une charte qui tient sur une page, et l’expérience de l’équipe compte pour beaucoup. Mais deux informaticiens du Centre de recherche sur les transports (CRT), Michel Gendreau et Jean-Yves Potvin, ont mis l’intelligence artificielle au service de l’équipe du Centre de service de Richmond. Les chercheurs du CRT ont mis au point un logiciel très particulier qui aidera les gestionnaires à utiliser les abrasifs de façon à en diminuer l’impact sur l’environnement, tout en faisant baisser les couts. Appelé «réseau de neurones», ce système est un cerveau informatique qui tient compte d’une grande quantité de variables avant de suggérer une solution.

«Le déglaçage et l’enlèvement de la neige sont des opérations beaucoup plus complexes qu’il n’y parait, fait remarquer M. Gendreau, directeur du CRT. Les experts du déglaçage doivent prendre en considération une foule d’éléments: la densité de la circulation, l’heure de pointe, les conditions de la chaussée. Si l’on n’intervient pas adéquatement, une pluie verglaçante peut avoir des conséquences dramatiques. Il faut être prêt avant la moindre perturbation météorologique, connaitre les effets de chaque abrasif. Tout l’hiver, partout au Québec, cet exercice se répète d’heure en heure. C’est un art et une technique.»

Le cout de ces opérations n’est pas à négliger non plus: le sable coute 11$ la tonne, le sel 70$. Quant au calcium, il est 10 fois plus cher: 700$ la tonne.

En résumé, le logiciel tient compte de 21 facteurs dont une partie seulement sont d’ordre météorologique. Il «raisonne» en fonction du nombre de camions lourds qui passent sur la route, du but recherché (veut-on déglacer le réseau, le sécuriser ou simplement le maintenir en état de marche?), des conditions de la chaussée (y a-t-il déjà de la neige, de la gadoue, de la neige durcie, du verglas, de la glace noire?), du mois de l’année (les jours sont-ils courts ou longs?), etc. Côté météo, il faut savoir s’il y aura du vent dans les six prochaines heures, si des accumulations sont prévues, si un refroidissement est à craindre...

Quel intérêt?

Actuellement, le logiciel fait l’objet d’une implantation graduelle dans le circuit routier de la région de Richmond, qui compte 140 km, et il sera pleinement opérationnel l’hiver prochain. Les Cantons-de-l’Est sont un lieu idéal pour cette implantation, car on y trouve une bonne diversité géomorphologique et plusieurs microclimats.

Pourquoi utiliser un système informatique pour gérer l’épandage d’abrasifs? «Il y a beaucoup d’avantages, explique M. Fournaise. D’abord, il uniformisera notre intervention. En ce moment, il y a autant de façons de calculer les proportions de sel et de sable qu’il y a de chefs d’équipe. Ensuite, il apportera une pérennité à notre expertise.»

Comme pour l’ensemble de la main-d’œuvre québécoise, le personnel affecté à l’entretien des routes vieillit et l’on craint que l’expertise développée disparaisse subitement quand sonnera l’heure de la retraite. «Il fallait trouver une façon d’assurer la survie de l’expérience acquise. Sinon, la relève pourrait être problématique.»

Un autre intérêt se situe sur le plan environnemental. Le 5 avril 2004, le Environnement Canada déclarait que les cinq millions de tonnes de sels de voirie utilisés chaque année au pays étaient néfastes pour l’environnement. Ils «présentent un danger sérieux pour les animaux, les plantes et les milieux aquatiques proches des sites d’entreposage ou d’élimination ainsi que par l’écoulement dans les cours d’eau et rivières», soulignait le ministre David Anderson. Un nouveau code visant à réduire la pollution causée par l’épandage était lancé le même jour.

En rationalisant les pratiques d’épandage d’abrasifs, le logiciel conçu par le CRT permettra de diminuer l’arbitraire de l’opération, croit M. Fournaise. «Cela se traduira par des économies que nous évaluons à environ 10% annuellement », estime-t-il.

Il ne s’agit pas de remplacer le travailleur par la machine. «L’opérateur sera toujours celui qui prendra les décisions et l’ordinateur ne peut que lui indiquer des voies privilégiées. Si notre réseau de neurones prend en considération 21 variables, l’être humain peut tenir compte de 21 000 variables», blague-t-il.

Un système qui apprend

Spécialiste des «réseaux de neurones», Jean-Yves Potvin s’est joint à M. Gendreau dès que le projet a été mis sur pied, en 2003. «Un réseau de neurones est un système informatique capable d’apprendre par lui-même certaines tâches expertes», indique-t-il.

Évidemment, cet apprentissage n’est pas comme celui d’un enfant à l’école. Pour qu’un tel système apprenne, il faut lui présenter un certain nombre de scénarios vraisemblables de façon qu’il reproduise le bon «raisonnement» si des cas nouveaux se présentent. Quand les universitaires ont livré le logiciel à leur client, tout juste 60 scénarios avaient été intégrés dans ses neurones électroniques. Mais au Centre de service de Richmond, on a continué à alimenter sa mémoire. Le logiciel compte aujourd’hui dans ses circuits près de 900 scénarios, et l’on veut se rendre à 1500 avant de le considérer comme suffisamment «intelligent».

Jean-Yves Potvin n’avait jamais pensé travailler sur l’épandage d’abrasifs, mais le projet lui convenait. «Sa complexité en faisait un sujet de choix pour un réseau de neurones», mentionne-t-il.

Pour Yves Fournaise, la collaboration avec les chercheurs du CRT a été couronnée de succès. «Ils ont très bien compris ce qu’on attendait d’eux, même si nos besoins étaient parfois difficiles à expliquer. Ils m’ont beaucoup impressionné et l’outil qu’ils nous laissent n’a pas de prix.»

Mathieu-Robert Sauvé

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