Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numéro 18 - 30 janvier 2006
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 Archives de Forum

La surdité peut relever d’anomalies du système nerveux central

L’examen par IRM des enfants sourds devrait inclure l’observation de tout le cerveau, soutient la Dre Annie Lapointe

La Dre Annie Lapointe

Les cas de surdité totale diagnostiqués dans les premiers mois de la vie ne relèvent pas tous d’une anomalie du tympan, de l’oreille interne ou du nerf auditif. Il se peut que le problème soit ailleurs dans le cerveau et pas nécessairement dans le cortex auditif. Le trouble pourrait découler de ce que les spécialistes appellent des anomalies de migration, survenues au cours de l’embryogenèse.

C’est une hypothèse qu’émet la Dre Annie Lapointe, pédiatre au CHU Sainte-Justine et professeure au Département de chirurgie de la Faculté de médecine. Au cours d’un stage postdoctoral réalisé au Baylor College of Medicine, à Houston, la jeune chercheuse a observé que 20% des enfants sourds soumis à des tests en imagerie par résonance magnétique (IRM) des couches profondes du cerveau présentaient des anomalies de migration dans le cerveau.

Migration cellulaire

«Lors de l’embryogenèse, il arrive que des cellules de l’enveloppe externe de l’embryon – l’ectoderme – migrent vers le cerveau, explique Annie Lapointe. Ces cellules, qui auraient normalement dû donner naissance à de la peau, à des nerfs et à de la moelle, se retrouvent au mauvais endroit et cessent leur développement. C’est ce que nous appelons des anomalies de migration.»

Ces cellules peuvent finir leur course à n’importe quel endroit du cerveau et ce problème commence à peine à être étudié. Pour les repérer, il faut recourir à l’IRM de l’ensemble du cerveau. Mais au Québec, ceci n’est pas fait systématiquement, contrairement au Texas.

«Au Québec, nous procédons à l’examen par IRM de la zone temporale avant de mettre en place un implant cochléaire, précise la chercheuse. Cette étape est essentielle afin de vérifier si la cochlée est bien formée et si le nerf auditif est assez gros pour qu’on puisse y fixer une électrode.»

La pose d’un implant cochléaire nécessite de faire une ouverture dans l’os temporal pour insérer une électrode enroulée dans la cochlée jusqu’au nerf auditif; l’extrémité externe de l’électrode aboutit dans une prothèse auditive amovible placée derrière l’oreille. Cette intervention doit être pratiquée assez tôt pour éviter que le nerf auditif s’atrophie s’il reste inutilisé.

Cause de surdité?

Selon la Dre Lapointe, les résultats des tests en IRM de Houston montrent qu’il est important de procéder au balayage de tout le cerveau plutôt que de se limiter à la zone temporale afin de voir si le cerveau de l’enfant ne présente pas d’anomalies de migration. «Cet examen ne prendrait que quelques minutes de plus», affirme-t-elle.

À son avis, ces anomalies pourraient être la cause de la surdité. «Dans les cas que nous avons découverts, aucun des enfants ne présentaient d’anomalies de l’oreille interne, souligne-t-elle. Ceci suggère une origine centrale de la surdité au lieu d’une origine liée aux composants périphériques.»

L’hypothèse repose sur le fait que les anomalies de migration pourraient bloquer les relais entre les différents centres neurologiques du cerveau, court-circuitant les données relatives à l’audition.

«Les anomalies de migration ont déjà été associées à des problèmes comme l’épilepsie, des retards développementaux, des troubles de motricité et des troubles du langage telle la dyslexie. Mais nos travaux sont les premiers à suggérer un lien avec la surdité», indique la chercheuse.

Pour vérifier l’hypothèse, il faut procéder d’une part à des IRM du cerveau complet chez les enfants sourds, ce qui ne se fait pas actuellement au Québec. Il faut ensuite installer un implant et mesurer si cette intervention donne les mêmes résultats chez les enfants qui présentent des anomalies de migration comme chez ceux qui en sont exempts.

Ce projet est sur la table de la chercheuse. Mais l’apprentissage que nécessite un implant cochléaire constitue une difficulté de taille dans une telle recherche. «Ces enfants n’entendent pas les sons comme nous, déclare le Dre Lapointe. On croit qu’ils perçoivent plutôt des sons se rapprochant de bruits électriques et il leur faut de deux à trois ans de thérapie auditive pour arriver à les interpréter.»

Tous les enfants ne répondent pas de la même façon à cet apprentissage et il est possible que les échecs soient dus à des anomalies de migration; si la surdité était causée par ce problème, l’implant s’avèrerait inutile. Le long apprentissage précédé d’une intervention effractive que subissent ces enfants rend triplement nécessaire de procéder à des IRM du système nerveux central au complet.

Il se pose de 70 à 80 implants cochléaires par année au Québec et le seul centre spécialisé est actuellement situé à l’Hôtel-Dieu de Québec.

Daniel Baril

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