Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 20 - 13 fÉvrier 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Une loi devrait empêcher le marchandage des connaissances indigènes

Des firmes américaines et japonaises ont déposé des brevets pour exploiter les propriétés du margousier

Le margousier est très recherché pour ses propriétés thérapeutiques.

Le droit international est incapable de protéger convenablement les connaissances traditionnelles des autochtones. Les organismes internationaux devraient sans tarder rédiger un traité pour les préserver avant qu’elles soient détournées à des fins commerciales.

Voilà l’opinion de Konstantia Koutouki, professeure à la Faculté de droit, qui a déposé récemment sa thèse sur le droit des autochtones en matière de propriété intellectuelle. Elle fait valoir qu’il existe déjà des accords internationaux destinés à protéger les brevets et inventions des grandes entreprises. Pourquoi ne pas en faire autant pour le savoir ancestral des 300 millions d’autochtones et des populations isolées qui ont élaboré des remèdes traditionnels à partir de plantes aux propriétés curatives?

Mme Koutouki fait observer que les accords comme celui de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la propriété intellectuelle, baptisé «Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce» (ADPIC), ont un pouvoir démesuré en comparaison de l’entente multilatérale supposée sauvegarder les droits des autochtones, qu’elle ne trouve pas assez sévère.

Là où l’on s’approche le plus d’un mécanisme de protection des connaissances indigènes, c’est dans la Convention sur la biodiversité, mais le document légal est difficile à modifier, ce qui vulnérabilise les autochtones. Leurs connaissances ancestrales risquent ainsi d’être exploitées commercialement sans qu’ils puissent en tirer des bénéfices. «Même si cette convention reconnait les droits des autochtones, elle ne leur accorde pas une grande place à côté des autres enjeux comme les semences ou les lignées d’ADN.»

Le margousier volé

Un triste exemple de ce qui attend les autochtones en cette matière est l’histoire de la semence du margousier, un astringent naturel découvert par les fermiers indiens et qui est utilisé par les médecins traditionalistes de l’Inde depuis 200 ans. Des firmes américaines et japonaises se sont emparées de cette plante et ont déposé une douzaine de brevets pour en exploiter les propriétés. Aujourd’hui, des dérivés de margousier sont ajoutés à des dentifrices et à des insecticides. Des militants indiens dénoncent le fait que les brevets ne reconnaissent pas les efforts de leur pays pour avoir mis au jour les propriétés thérapeutiques et agricoles de la plante. Ils ont déposé une plainte à l’OMC contre «l’harmonisation des lois sur la propriété intellectuelle». De plus, la commercialisation du margousier a eu pour résultat que les fermiers indiens doivent à présent payer plus cher leurs semences de la plante.

Mme Koutouki estime que les peuples indigènes ont bien peu de pouvoir pour s’opposer aux grandes compagnies pharmaceutiques qui décident d’exploiter leurs connaissances ancestrales. Plusieurs des communautés concernées sont reculées et parlent des langues vernaculaires, lorsqu’elles ne sont pas analphabètes. Difficile alors de négocier avec les porte-paroles des multinationales qui frappent à leur porte. «C’est pourquoi la responsabilité de protéger leurs droits revient à l’État», mentionne la diplômée.

D’origine grecque, Konstantia Koutouki est très sensible au sort réservé à ces petites communautés. Elle a eu l’occasion d’en visiter quelques-unes, notamment au Costa Rica et en Bolivie, où elle a été témoin de certaines aberrations.

Elle dit que l’Occident devrait mettre en place une structure en droit international qui permettrait la discussion de ces sujets, faisant référence aux différents enjeux mis en lumière par les communautés touchées. Cela prendra des efforts considérables de la part des organisations non gouvernementales et des autres intervenants.

Vigueur c. faiblesse

Elle étudie actuellement les accords tels que l’ADPIC qui sont en mesure de permettre l’instauration de mécanismes de régulation à long terme. «L’ADPIC est musclé, alors que la Convention sur la biodiversité est maigrichonne», lance Mme Koutouki.

En l’absence d’une convention vraiment efficace, certaines entreprises préfèrent s’entendre directement avec leurs interlocuteurs politiques. La professeure donne l’exemple d’un compromis survenu entre la compagnie pharmaceutique Merck Frosst et le gouvernement du Costa Rica en 1991. Celui-ci a accepté que l’entreprise acquière des échantillons de plantes et d’insectes ainsi que des micro-organismes provenant des forêts protégées du pays. En retour, la société s’est engagée à verser des redevances à l’Institut national de la biodiversité du Costa Rica aussitôt qu’elle mettrait au point des médicaments à partir de ces échantillons biologiques.

Cette entente semble convenir aux deux parties, mais Mme Koutouki aimerait que des ententes globales voient le jour pour éviter le marchandage de connaissances traditionnelles. Selon elle, le savoir ancestral des cultures autochtones devrait être mieux reconnu économiquement et socialement pour sa contribution au bien-être de l’humanité.

Philip Fine
Collaboration spéciale
Traduit de l’anglais par Mathieu-Robert Sauvé

Ce site a été optimisé pour les fureteurs Microsoft Internet Explorer, version 6.0 et ultérieures, et Netscape, version 6.0 et ultérieures.