Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 20 - 13 fÉvrier 2006
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 Archives de Forum

La dysphasie n’est pas un obstacle à l’apprentissage d’une deuxième langue

Les enfants bilingues atteints d’un trouble spécifique du langage ont parfois moins de difficultés langagières que les enfants unilingues

Illustration utilisée pour détecter l’omission d’un pronom. «Que fait la petite fille avec la nourriture? Elle la met dans son sac à dos.»

L’apprentissage d’une deuxième langue chez les enfants atteints de dysphasie n’est pas nécessairement à déconseiller. C’est l’une des conclusions qui se dégage d’une recherche entreprise par Martha Crago, orthophoniste de formation et rattachée à ce titre à l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’UdeM.

Malgré ses fonctions de vice-rectrice à la vie étudiante, Mme Crago réussit à poursuivre des travaux de recherche en collaboration avec une collègue de l’Université d’Alberta, Johanne Paradis, et une coordonnatrice à l’École, Carole Bélanger. Elle livrera les données de sa recherche au cours d’une conférence midi le 15 février (voir le calendrier).

Morphèmes et pronoms

La dysphasie ou trouble spécifique du langage (TSL) touche de cinq à sept pour cent de la population. Ce syndrome n’altère que certaines fonctions syntaxiques du langage, comme l’utilisation des pronoms conjoints en français ou l’emploi des morphèmes indiquant le temps des verbes en anglais.

L’origine de ce syndrome est mal connue. «Les enfants qui en sont affectés performent normalement aux tests de QI, n’ont aucune déficience auditive, aucune lésion neurologique, aucun trouble socioaffectif et ne sont pas autistes, précise la chercheuse. Leur vocabulaire est toutefois plus limité et l’acquisition complète du langage se fait plus tardivement que chez les autres enfants.»

Devant une illustration sur laquelle, par exemple, un personnage est en train de manger une pomme, l’enfant atteint de TSL sera incapable de répondre de la bonne façon syntaxique à la question «Que fait le personnage avec la pomme?» Au lieu de répondre «Il la mange», il dira simplement «Il mange» ou encore «Il mange ça». Pourtant, cet enfant n’éprouvera aucune difficulté à placer correctement l’article la dans une phrase; cet exemple montre que le trouble provient de la compréhension du rôle de la en tant que pronom.

Chez les anglophones, la dysphasie s’exprime parfois par l’omission du s dans les pluriels et dans les verbes à la troisième personne du singulier, ou encore du -ing à la forme progressive.

Les orthophonistes déconseillent habituellement aux parents de ces enfants de leur faire apprendre une deuxième langue de peur que ce nouvel apprentissage ne freine davantage celui de leur langue maternelle.

«Mais cette position ne reposait sur aucune étude», affirme Martha Crago. Cette consigne crée par ailleurs des ennuis dans les familles bilingues, où les parents ne peuvent se permettre d’interagir différemment avec les enfants dans l’usage des langues.

Le bilinguisme n’est pas un problème

L’orthophoniste a donc comparé les difficultés d’utilisation de certains morphèmes chez des enfants dysphasiques unilingues et bilingues, et ceci, tant chez les francophones que chez les anglophones. Mais les entraves à l’acquisition d’une deuxième langue ne sont pas les mêmes si l’enfant apprend simultanément deux langues dès la naissance ou si la deuxième langue n’est apprise qu’à l’âge scolaire. La chercheuse a donc distingué ces deux types de bilinguisme.

La première partie de ses travaux a porté sur les enfants à qui l’on parle deux langues dès la naissance (bilingues de naissance) en observant les difficultés d’usage du pronom conjoint et des morphèmes de temps. «Que ce soit en français ou en anglais, les difficultés sont de même type et de même gravité chez les enfants unilingues et les enfants bilingues de naissance», a-t-elle observé.

Son étude montre même que, chez les francophones, l’usage des morphèmes de temps et des pronoms conjoints est mieux maitrisé que chez les unilingues. Bien que le nombre de sujets ait été limité, les différences sont tellement grandes qu’elles sont significatives, indique Mme Crago.

Le TSL n’est donc pas aggravé par l’apprentissage d’une deuxième langue et ceci a des retombées sur les plans théorique et clinique. «Les prédispositions au langage sont suffisamment fortes pour permettre à un enfant atteint de TSL d’être bilingue et ses aptitudes linguistiques sont assez solides pour lui permettre d’apprendre deux langues simultanément, souligne la chercheuse. Sur le plan clinique, on devrait encourager ces enfants à préserver l’usage de leurs deux langues.»

Bilingues successifs

Martha Crago poursuit ses travaux en étudiant cette fois les difficultés d’usage de pronoms conjoints en français chez des enfants dysphasiques anglophones en classe d’immersion française. Ses résultats préliminaires démontrent que ces enfants rencontreraient plus d’obstacles que les enfants bilingues de naissance.

Quoi qu’il en soit, la chercheuse estime que ces embuches ne représentent pas un empêchement à apprendre une deuxième langue. Même s’ils ne la parlent pas parfaitement, le bénéfice est plus grand que de demeurer unilingue et il ne faut pas penser que ces enfants ne se développeront pas normalement.

Martha Crago cite un excellent exemple pour illustrer ce point de vue: un politicien francophone qui ne maitrisait parfaitement ni l’anglais ni le français et qui construisait des phrases approximatives est tout de même devenu premier ministre du pays.

Daniel Baril

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