Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 21 - 20 fÉvrier 2006
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Radiolibre: «Pour une fois, c’est la radio qui vous écoute!»

Deux professeurs d’informatique participent à un transfert technologique

«Mon défi, c’était d’élaborer des algorithmes capables de faire des recommandations musicales en fonction des usagers», explique Yoshua Bengio.

<radiolibre.ca>. C’est l’adresse d’une radio commerciale nouveau genre accessible sur Internet. «C’est une radio personnalisée en fonction des gouts des auditeurs», résume Yoshua Bengio, professeur au Département d’informatique et de recherche opérationnelle (DIRO), qui a participé à la mise au point technique de cette innovation technologique sans équivalent au Québec.

À mi-chemin entre le iPod, où l’usager emmagasine son choix de titres, et la radio traditionnelle, où l’auditeur n’a pas un mot à dire sur la programmation, Radiolibre offre une option intéressante. «L’auditeur choisit d’abord son profil – jazz, pop, musique du monde, rock, etc. –, puis il le peaufine chaque fois qu’il donne son appréciation», explique Benjamin Masse, le directeur de l’entreprise DoubleV3, qui a lancé ce nouveau concept. «Pour une fois, c’est la radio qui vous écoute», dit la publicité.

De plus, Radiolibre est parfaitement légale dans son fonctionnement puisqu’elle n’encourage pas le téléchargement pirate. D’ailleurs, Benjamin Masse, lui-même artiste, siège au conseil d’administration de l’ADISQ et s’oppose énergiquement au piratage.

Exempte de publicité sonore (les annonceurs diffusent leurs messages à l’écran), Radiolibre demeure une entreprise commerciale sous la houlette d’Astral Media, qui a investi un million dans l’aventure. Il n’y a pas non plus d’animations en direct, mais on peut écouter des émissions thématiques avec des experts et des animateurs, ou des sélections de disques-jockeys professionnels. À l’instar de son directeur Benjamin Masse, diplômé en gestion et titulaire d’une maitrise en anthropologie, Radiolibre est jeune, polyvalente, dynamique et ambitieuse. «On compte déjà 13 000 abonnements en moins d’un mois d’existence», annonce-t-il. Parmi les clientèles en développement: les compagnies aériennes et leurs passagers qui, captifs, sont tout désignés pour ce type de produit.

Le CIRANO à l’origine

C’est au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) qu’a pris racine cette idée de radio personnalisée. Daniel Levitin, chercheur de l’Université McGill en communication électronique, y renconte Yoshua Bengio, un expert en apprentissage statistique (data mining). Les deux chercheurs unissent leurs efforts afin de concevoir un premier prototype de radio personnalisée, qui sera financé par Valorisation-Recherche Québec. Bientôt, le projet prend de l’ampleur au point de convaincre le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie d’y investir à son tour. On obtient 125 000$ de fonds.

Rapidement, un autre spécialiste de l’Université de Montréal, Douglas Eck, se joint à l’équipe afin d’apporter son expertise au projet: l’étude de la structure musicale. «Mon rôle, mentionne ce dernier, consiste à faire en sorte que le système puisse analyser les pièces musicales afin de regrouper des styles musicaux dans des catégories pertinentes.»

Radiolibre fonctionne de façon autonome. C’est là tout l’intérêt de l’entreprise. «Ma principale difficulté, c’était de mettre au point des algorithmes capables de faire des recommandations musicales en fonction des usagers, souligne Yoshua Bengio. Il faut éventuellement que l’ordinateur puisse apprendre par lui-même.»

Apprendre de manière indépendante, c’est le grand défi de l’intelligence artificielle. L’usager aime Céline Dion mais pas Luce Dufault; Richard Séguin mais pas Richard Desjardins; Duke Ellington mais pas Oscar Peterson. Comment faire en sorte que la prochaine chanson soit à son gout? Le système plonge dans une discothèque virtuelle comptant quelque 500 000 pièces afin de répondre à cette question.

La sélection est personnalisée mais pas au point de permettre à l’auditeur de n’écouter que du Phil Collins ou du Michel Rivard. «Cette radio est faite pour permettre la découverte de nouveautés musicales. C’est en partie sa vocation», précise M. Masse.

La musique de <radiolibre.ca> n’est toutefois pas gratuite. Le tarif mensuel d’abonnement est de 5,99$. Dans le cadre du lancement, une promotion permet un essai gratuit de 30 jours.

Lieu d’apprentissage

Par des brevets déposés, le CIRANO, l’Université de Montréal et l’Université McGill ont fait reconnaitre leur rôle dans la mise sur pied de cette technologie prometteuse. Ils participeront donc aux bénéfices si l’entreprise s’avère rentable, et ces fonds serviront à financer d’autres recherches.

Mais déjà, Radiolibre aura été un lieu d’apprentissage précieux pour l’équipe de chercheurs concernés. Plusieurs étudiants du DIRO y ont entrepris des études de deuxième et de troisième cycle, notamment James Bergstra, Norman Casagrande et Alexandre Lacoste. L’équipe de Douglas Eck a même gagné des prix pour ses travaux sur la classification musicale à une conférence spécialisée tenue à Londres en septembre dernier.

Au fond, même si Yoshua Bengio se réjouit des succès de sa discipline, il ne se fait pas d’illusions sur le chemin qu’il reste à parcourir. «Notre but, observe-t-il en souriant, c’est de rendre les ordinateurs un peu moins stupides.»

Mathieu-Robert Sauvé

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