Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 21 - 20 fÉvrier 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Aveux et désaveux d’un psychiatre

Michel Lemay s’exprime dans un ouvrage sur un bon nombre de problèmes de l’enfance en difficulté

L’attachement au cours des premières années de la vie est crucial pour l’enfant. Son développement ultérieur sera plus solide si la stabilité parentale est au rendez-vous au cours de la petite enfance.

La scène est un classique bien connu des intervenants du réseau de la protection de l’enfant. Un jeune qui a développé des liens d’attachement significatifs avec ses parents d’accueil doit retourner chez ses parents biologiques, qui semblent prêts à le reprendre mais, après quelques mois, l’enfant doit encore une fois être placé dans une famille d’accueil… Et malheureusement, ce n’est pas la même que la précédente.

«Depuis les travaux de John Bowlby, nous savons que les deux premières années de vie sont absolument capitales. Tout ce que l’enfant reçoit à ce moment-là, dans la qualité, la stabilité et la cohérence des soins de base, lui permet de prendre conscience de son corps et de son existence», signale le pédopsychiatre Michel Lemay dans un ouvrage qu’il vient de publier aux Éditions du CHU Sainte-Justine et qui véhicule un message troublant. Il croit que, même si l’on connait l’importance fondamentale de l’attachement, il y a relativement peu de changements dans les perspectives d’approche de la psychiatrie, de la psychologie, du travail social et du travail éducatif. «C’est une grande déception pour moi», affirme-t-il.

On sait qu’un enfant qu’on réintègre dans son milieu familial après une absence prolongée ou qu’on déplace d’une famille d’accueil à l’autre éprouvera de grandes difficultés à s’attacher de nouveau. Ce manque de continuité laisse des séquelles sur les plans du comportement et de la personnalité de l’enfant. Plus encore, l’attachement construit l’attention, la concentration, le jugement critique, la capacité d’inhiber volontairement ses comportements, l’intelligence, l’aptitude à planifier. Tous les enfants atteints d’un trouble de l’attachement ont à des degrés divers des altérations de ces capacités.

Pourtant, même si la Loi sur la protection de la jeunesse est établie dans l’intérêt de l’enfant, les juges ont encore beaucoup tendance à privilégier les parents et à retourner l’enfant dans sa famille biologique, souvent à répétition, malgré les échecs répétés de ces retours. «Plusieurs des jeunes dont parle Paul Arcand dans son film Les voleurs d’enfance ont un dénominateur commun: ils n’ont pas pu s’attacher», souligne le Dr Lemay, qui déplore aussi le fait que de nombreux enfants sont évalués par tout un chacun puis laissés à leur sort. «Quand l’enfant ne va pas bien, il rencontre une suite de psychologues qui l’amènent à se redire, éveillent en lui l’espoir d’être pris en charge, puis les choses s’arrêtent là.»

Mais alors… l’ensemble du système croit-il vraiment à cette valeur de l’attachement? «S’il y croyait, on s’arrangerait pour modifier un peu les choses. Officiellement, on y croit, mais en réalité, est-ce qu’on intègre les pratiques en fonction de cette croyance? demande M. Lemay. Quand on voit la réalité de tous les jours, on ne peut que s’interroger.»

Une expérience avec E

Au cours de sa carrière de clinicien en milieu hospitalier et de professeur à la Faculté de médecine, le Dr Lemay a observé des enfants de tous les âges et de toutes les conditions. Cela l’a conduit à consacrer successivement des pans de sa vie professionnelle à divers problèmes de l’enfance en difficulté. Délinquance, troubles graves de l’attachement de type syndrome carentiel, comportements autoagressifs, maltraitance et autisme ont été des champs de préoccupation qui ont débouché sur l’écriture de nombreux ouvrages, dont J’ai mal à ma mère, Famille, qu’apportes-tu à l’enfant? et L’autisme aujourd’hui.

S’appuyant sur une pratique de plus de 40 ans, il s’exprime dans son récent volume intitulé Aveux et désaveux d’un psychiatre sur un bon nombre de ces problèmes et n’hésite pas à prendre position (voir l’encadré ci-dessous).

Vendu 34,95$, le livre contribue aux débats qui ont cours chez les professionnels et les éducateurs de même que chez les parents. Présentés sous forme d’entretiens avec des intervenants ou des spécialistes du domaine, dont plusieurs médecins du CHU Sainte-Justine et des professeurs de l’UdeM, les propos du Dr Lemay démontrent un grand intérêt pour la vulgarisation. Même si l’auteur traite aussi de questions théoriques parfois complexes, il a toujours le souci d’être compris par un large public.

Même s’il est un universitaire sérieux, il n’a jamais hésité entre le plaisir de jouer par terre aux autos avec ses enfants et l’obligation de publier. Très engagé dans le domaine de l’enfance, le Dr Lemay a déjà accueilli deux jeunes filles au sein de sa famille. L’une d’elles a même habité la maison familiale pendant six ans et donne encore aujourd’hui régulièrement de ses nouvelles. «La première nous a montré qu’on était dans l’illusion et la seconde qu’on était dans une démarche tout à fait pertinente», raconte le Dr Lemay.

Selon le pédopsychiatre, devenir famille d’accueil a été une expérience avec un grand E! «Cela nous a apporté beaucoup, à ma femme et à moi, et nous a rapprochés, mais nous avons également constaté à quel point les jeunes aux prises avec des difficultés de l’ordre de la carence pouvaient fragiliser un couple et avoir des répercussions sur ses propres enfants. Il aurait été drôlement utile que nous soyons soutenus par un praticien.»

Dominique Nancy

Voir aussi:La formation en pédopsychiatrie est malade

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