Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 24 - 20 mars 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La chasse aux phoques est-elle acceptable?

Pour le professeur Stéphane Lair, la chasse aux phoques est pratiquée de façon trop compétitive. L’activité ne menace toutefois pas le troupeau

Stéphane Lair

La chasse aux phoques est «une tache sur la réputation des Canadiens», selon le chanteur Paul McCartney. Au cours d’une visite au large des îles de la Madeleine, le 2 mars, l’ancien Beatles a déclaré au réseau d’information international CNN que l’abattage des mammifères marins n’avait pas plus de raison d’être que l’esclavage.

Est-il «éthiquement acceptable» de tuer des phoques à l’aide d’un bâton appelé hakapik comme le font les chasseurs commerciaux? Il est vrai que les chasseurs qui assomment les phoques ont un sérieux problème d’image depuis que le sang des blanchons s’est répandu sur la neige devant des caméras de télévision il y a plus de 20 ans. Même si la chasse aux blanchons est interdite depuis 1987 (on n’autorise que l’abattage des animaux qui ont mué), la controverse fait rage de temps à autre.

Préoccupé par les questions de bien-être des animaux, le Fonds mondial pour la nature a chargé l’an dernier un groupe de neuf vétérinaires indépendants de se pencher sur le cas des phoques du Groenland. Dans leur rapport daté d’aout 2005 (www.ivwg.org), les spécialistes internationaux sont formels: la méthode n’est pas cruelle. Un coup de hakapik sur le crâne d’un phoque semble brutal, mais «on le considère sans cruauté s’il est porté rapidement et si l’animal demeure inconscient jusqu’à sa mort».

«Nous n’avions pas pour mandat de statuer sur la pertinence de la chasse, explique l’un des signataires du rapport, Stéphane Lair, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire et spécialiste de la faune. Nous avons uniquement cherché à savoir si les méthodes actuelles étaient acceptables ou si elles pouvaient être améliorées.»

La réponse? Oui, il y a de la place pour l’amélioration. Les experts insistent sur le fait que trois étapes doivent être respectées pour que la chasse traditionnelle soit éthiquement acceptable. Entre l’assommage (le fait d’écraser la tête pour détruire les deux hémisphères du cerveau) et la saignée (qui met fin à la circulation du sang vers le tronc cérébral), la palpation du crâne est nécessaire pour constater le choc et éviter qu’un animal blessé souffre. Or, cette étape n’est pas toujours rigoureusement suivie. Pourquoi? Parce que les chasseurs sur la banquise doivent faire vite. «La nature compétitive de la chasse (qui, depuis ces dernières années, peut ne durer que deux jours seulement) crée un environnement où la vitesse prime et où les chasseurs sont tentés de prendre des raccourcis», peut-on lire dans le rapport.

«La chasse est pratiquée de façon beaucoup trop compétitive, explique le Dr Lair. Il y a des quotas d’abattage qui poussent les chasseurs à agir vite. Résultat: de nombreux animaux souffrent inutilement.»

Le groupe de vétérinaires demande donc à Pêches et Océans Canada de légiférer sur la question. «La compétition et le rythme de la chasse doivent être réduits, dit la 5e des 11 recommandations. On pourrait ainsi améliorer les pratiques sans cruauté, la sécurité des travailleurs, la surveillance et l’application de la règlementation. La compétitivité peut être atténuée par l’établissement de quotas ou d’autres mécanismes de gestion ou, encore, par un code de pratiques de l’industrie.»

Pour le pathologiste Daniel Martineau, lui aussi expert de la faune, la méthode d’abattage des phoques est très semblable à celle dans les abattoirs commerciaux à bovins: l’assommage suivi d’une saignée. À ces différences près qu’on utilise un fusil à projectile captif plutôt qu’un hakapik et, surtout, que cela se fait loin des caméras. «Le phoque sans défense, avec son sang sur la neige, cela produit un effet très fort sur le plan affectif. Personne n’aime voir ça», reconnait le Dr Martineau.

N’en déplaise aux Paul McCartney et Brigitte Bardot de ce monde, le ministre fédéral des Pêches et des Océans, Loyola Hearn, a annoncé que la chasse aurait lieu en 2006. Un peu plus de 300 000 phoques, soit 5000 de plus que l’année dernière, pourraient même être abattus. Cela menace-t-il le troupeau? Aucunement, celui-ci se chiffrant à quelque six millions de têtes. Une population en hausse.

Mais Stéphane Lair ne veut pas laisser croire que les vétérinaires sont du côté des chasseurs commerciaux. «J’ai personnellement quelques réserves quant à l’exploitation commerciale des ressources fauniques, dit-il. Je crains que cette exploitation ouvre la porte à des abus à moyen ou à long terme.»

La surpêche, responsable de la disparition des grands bancs de morues, donne-t-il en exemple, avait été annoncée par bon nombre de scientifiques avant d’être constatée dans les chalutiers. Mais l’industrie a fait la sourde oreille pour ne pas renoncer à ses profits.

C’est pourquoi le groupe s’en est tenu à un point très précis: la méthode d’abattage. Après tout, les vétérinaires sont aussi les amis des bêtes.

Mathieu-Robert Sauvé

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