Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 25 - 27 mars 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Profondes divergences sur la place du français au Québec

Les attitudes à l’égard de la diversité linguistique diffèrent des comportements en situations réelles

Marie-Hélène Chastenay

De nouvelles données viennent éclairer les attitudes des francophones et des anglophones à l’égard de la diversité linguistique et confirment les divergences de vues des deux communautés sur cette question.

Les données recueillies par Marie-Hélène Chastenay, agente de recherche au Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) et chargée de cours au Département de psychologie, visaient au départ à établir le profil de citoyenneté des jeunes collégiens en considérant leurs identités sociales, leur ouverture à la diversité et leur participation à la vie politique et communautaire.

«L’objectif n’était pas de comparer les groupes linguistiques, mais le grand nombre de répondants – près de 2200 – permet de le faire et même d’observer la situation chez les immigrants de deuxième génération», précise Mme Chastenay.

Des attitudes diamétralement opposées…

C’est au chapitre des attitudes à l’égard du fait français que les résultats sont les plus fortement opposés entre francophones et anglophones. Sur une échelle de 0 à 10 où 10 équivaut à un accord total avec l’énoncé, le score global des francophones atteint 8,3 lorsqu’il s’agit d’évaluer «l’importance des mesures destinées à faire du français la langue de communication publique»; au même énoncé, le score des anglophones n’est que de 1,9. Les immigrants sont plus sensibles que les anglophones de souche à la protection du français puisqu’ils y accordent collectivement une note de 3,5.

Les francophones désapprouvent fortement la possibilité que pourraient avoir des commerces ou des services publics de ne pas afficher en français puisqu’ils donnent la note de 2,5 à un tel énoncé. En revanche, les anglophones et les immigrants sont très favorables à cette perspective: ils lui accordent des notes respectives de 8,2 et de 7.

L’opinion des francophones parait moins sévère, voire neutre, avec le fait que la Charte de la langue française pourrait être plus flexible afin d’accorder une place à la diversité des langues parlées au Québec en donnant la cote de 4,5 à cet énoncé. Les anglophones jugent la chose deux fois plus positivement, avec une note de 9, alors que les immigrants cotent l’énoncé à un peu plus de 8.

L’écart entre les deux groupes linguistiques redevient très marqué lorsqu’il s’agit d’évaluer si les citoyens doivent dénoncer les infractions aux dispositions de la Charte; les notes respectives des francophones et des anglophones sont de 7 et de 1,5. Encore ici, les immigrants sont plus près du groupe anglophone avec une note de 2,8.

«Qu’on s’identifie comme Québécois ou comme Canadien a peu d’importance dans cette polarisation, mentionne la chercheuse. Qu’on soit immigrant a peu d’importance également; dans ce cas, c’est plutôt le fait d’étudier en anglais qui est déterminant dans la polarisation.»

Les résultats varient par ailleurs très peu entre les immigrants de première génération et ceux de la deuxième.

… mais des comportements moins polarisés

Cette polarisation des attitudes est toutefois tempérée par les données relatives aux comportements linguistiques.

Près de 26% des anglophones disent n’utiliser que le français comme langue de communication dans les commerces et près de 30% font de même dans les services publics. Ces taux demeurent par contre inférieurs à la proportion d’anglophones qui n’utilisent que l’anglais dans ces deux mêmes circonstances et qui est respectivement de 44% et de 39,4%.

Chez les francophones, 4% n’emploient que l’anglais dans les commerces et 1,8% font pareil dans les services publics.

«Les anglophones qui ne parlent que l’anglais dans les commerces et les services sont beaucoup moins nombreux que ceux qui n’utilisent que l’anglais en privé», souligne Marie-Hélène Chastenay. À la maison, ils sont près de 85% à n’employer que l’anglais avec leurs parents, 88,2% font de même avec leurs frères et sœurs et 78,2% avec leurs amis.

Parmi les autres données, on remarque que 60,5% des francophones ne se servent que du français au travail et 4% n’utilisent que l’anglais, comparativement à 39,4% d’anglophones qui ne parlent que l’anglais et 15,3% qui n’utilisent que le français. Chez les immigrants, 18% n’emploient que le français et 21% n’utilisent que l’anglais.

Pour Marie-Hélène Chastenay, cette série de données sur l’usage du français et de l’anglais en situations réelles montre que, dans la pratique, les comportements sont moins polarisés que ce que révèlent les énoncés sur les attitudes. «Il n’y a pas de relation directe entre les deux séries de données, signale-t-elle. Les comportements linguistiques ne concordent pas avec les jugements sur l’importance accordée aux langues au Québec. La langue semble un élément identitaire lorsqu’on l’aborde comme une idée abstraite, mais devient un outil de communication lorsqu’il est question d’interactions sociales.»

À son avis, cet écart dans les séries de données montre également qu’il faut être prudent avec les mesures des attitudes en psychologie, celles-ci n’étant pas toujours des prédicteurs valables du comportement qu’aura le sujet.

Cette recherche, dirigée par Michel Pagé, était présentée au colloque du CEETUM sur la diversité linguistique à l’école, tenu en février dernier.

Daniel Baril

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