Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 27 - 10 avril 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Le suicide assisté est un abandon du malade à son sort

Pour le Dr Patrick Vinay, le suicide assisté devrait demeurer illégal en milieu médical

Le Dr Patrick Vinay

«Tuer, c’est accepter que l’autre n’a plus de valeur; c’est se débarrasser de lui et de ses demandes d’aide. Il faut faire reculer l’euthanasie par l’amour tant qu’on le peut.»

C’est la réaction spontanée du Dr Patrick Vinay lorsqu’on lui demande quelle est sa position sur la question du suicide assisté. L’ex-doyen de la Faculté de médecine participait le 7 avril à un débat sur cette épineuse question organisé par l’Université du Québec à Montréal. En toile de fond, le projet de loi présenté l’année dernière par la députée bloquiste Francine Lalonde, membre du panel, visant à légaliser, sous certaines conditions restrictives, le suicide assisté et l’euthanasie.

Un discours de bien portants

Aujourd’hui médecin au département des soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame, le Dr Vinay estime que le débat médiatique sur le suicide assisté est dominé par «le discours des bien portants, qui est assez loin de la réalité du malade». Ce qu’il dit observer dans les dernières semaines de la vie d’un malade n’a rien à voir avec l’image du mourant suppliant qu’on mette fin à ses souffrances.

Dans une unité de soins palliatifs où un malade en phase terminale peut se trouver pendant trois mois, le rôle du médecin consiste à soulager la douleur mais aussi «à mettre de la vie dans la vie, affirme Patrick Vinay. Ce qui se passe dans les derniers jours de vie est parfois spectaculaire; la vision du monde et des gens change, toutes les relations deviennent importantes, il y a des réconciliations, des déclarations d’affection, un souffle spirituel vient donner un nouveau sens à la vie. Les proches découvrent la personne comme ils ne l’ont jamais vue et changent eux-mêmes leur façon d’être et de voir la vie.»

Patrick Vinay voit sa fonction comme celle d’un accompagnateur qui va jusqu’à organiser des rencontres avec l’entourage. «Il faut célébrer ce que le malade a de beau, soit l’amour avec sa famille. Être “pour” le malade implique de l’aider jusqu’à la fin, c’est-à-dire avoir une relation interpersonnelle avec lui et le soutenir dans ses réconciliations. Il m’arrive ainsi de jouer le rôle de l’agent de pastorale que plusieurs refusent de rencontrer.»

Au cours des trois années qui ont marqué sa nouvelle pratique, il a ainsi accompagné quelque 400 personnes dans leurs derniers jours. De ce nombre, seulement trois ou quatre ont souhaité être euthanasiées. Selon le médecin, ces demandes sont davantage liées à la détresse psychologique qu’à la souffrance physique.

«Ce sont des hommes et des femmes dont le monde relationnel s’est effondré et dont la vie émotive a été refoulée qui deviennent suicidaires, déclare-t-il. Celui qui demande l’euthanasie cherche de l’aide. Il faut saisir cette main pour faire bouger la situation.»

Au cours de leur vie, ces gens ont tout misé sur le monde des idées et se sont construit un univers qui vient de s’écrouler. Confrontés à la dure réalité que leur contribution disparaitra et qu’ils ne sont pas indispensables, ils refusent d’être vus diminués et souffrants et de représenter une charge émotive pour les autres dont la présence devient insupportable.

Reconstruire le relationnel

Faire bouger cette situation signifie, pour le Dr Vinay, reconstruire un monde relationnel. «On peut le faire en deux jours, indique-t-il. Aider au suicide, c’est au contraire abandonner l’autre à sa détresse et à sa prison, c’est lui refuser les efforts possibles pour l’aider. C’est là une démarche de facilité.»

Patrick Vinay reconnait toutefois qu’il n’est pas facile de voir un proche souffrir. C’est justement parce qu’il est difficile de faire face à cette réalité que les bien portants voudraient légaliser le suicide assisté. «Mais la souffrance fait aussi partie de l’humanité, dit-il. La vie humaine sans souffrance ne serait pas nécessairement meilleure; la compassion renforce notre capacité relationnelle et nos propres blessures créent des conditions d’accueil à l’égard des autres.»

Il arrive bien sûr que des malades refusent l’ultime geste de soutien parce qu’ils n’y voient aucun secours. Même en pareil cas, accéder à la demande d’euthanasie devrait demeurer un acte illégal dans le milieu médical, estime le médecin. À son avis, l’euthanasie risque d’engendrer d’autres problèmes à moyen terme pour les proches et il craint manifestement un dérapage eugénique. Mais que faire avec ceux qui, comme Sue Rodriguez, en ont pour des années à souffrir? «Rien n’interdit le suicide», répond Patrick Vinay.

Sédation terminale

En contexte de soins palliatifs, le Dr Vinay n’abandonne pas son devoir humaniste de secourir le malade même lorsque toute aide relationnelle est refusée. Il préfère proposer dans ces cas une «sédation terminale», qui consiste à endormir le malade pendant deux ou trois jours afin de réévaluer la situation avec lui et sa famille par la suite. Ce procédé n’accélère aucunement la mort et il est possible de ranimer le malade en tout temps simplement en retirant le sédatif.

C’est ce qu’il a offert aux quelques malades qui ont souhaité être euthanasiés. Dans chacun des cas, la mort est survenue avant la fin de la sédation. «C’est moins violent qu’un fusil sur la tempe, moins culpabilisant pour la famille et plus digne de la médecine», mentionne le Dr Vinay.

Patrick Vinay livre en fait une profonde leçon d’humanisme qui ébranle les certitudes des bien portants. Et cet humanisme n’est pas en soi religieux, souligne-t-il. «Le spirituel dont je parle, c’est le cœur de l’homme; c’est son monde relationnel, son amour, sa vie de l’esprit, son sens de la vie. La religion peut en faire partie, mais n’est pas le centre de cette vie spirituelle dont tout être humain est doté.»

Daniel Baril

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