Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 27 - 10 avril 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Schizophrénie: il existe des différences hommes-femmes

Un renversement du dysmorphisme sexuel pourrait être lié à la maladie

L’angoisse du schizophrène peut être insupportable. Adrianna Mendrek

La schizophrénie est une psychose qui se manifeste par une modification profonde de la personnalité et par une perte de contact avec la réalité. Elle affecte plus de un pour cent de la population et touche de façon égale les femmes et les hommes. Mais il semble y avoir des différences entre les sexes sur le plan du fonctionnement cérébral.

C’est du moins ce qu’Adrianna Mendrek, chercheuse au Département de psychiatrie de l’UdeM et au Centre de recherche Fernand-Seguin, a observé au cours de travaux récents. «Il s’agit d’une étude préliminaire, dit-elle, mais les données démontrent certaines différences entre les fonctionnements cérébraux masculins et féminins, dont une activation cérébrale beaucoup plus grande chez les hommes lorsqu’ils sont soumis à une tâche émotive.»

Pour expérimenter l’effet des émotions sur le fonctionnement du cerveau, elle a procédé selon la bonne vieille méthode scientifique. Elle a placé 25 volontaires schizophrènes dans un tomodensitomètre qui diffusait, au moyen d’un ordinateur, un extrait de film triste où les personnages étaient confrontés à la mort d’un membre de leur famille. Pour établir des comparaisons, elle leur a ensuite fait regarder un reportage sur le jardinage. Puis elle a recueilli les commentaires des sujets. Résultat? Les hommes autant que les femmes se sont dits bouleversés par le premier visionnement et ont attribué au film une hausse de leur charge émotive. C’est ce qu’ont révélé les questionnaires auxquels les participants ont eu à répondre.

Pourtant, grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, Adrianna Mendrek a constaté une tout autre réalité. «Il se produisait une plus grande activation cérébrale chez les hommes schizophrènes, notamment dans les parties des cortex cingulaire, frontal, temporal et pariétal», mentionne-t-elle. À ce chapitre, le phénomène s’inverse chez les gens normaux, signale la chercheuse. «Les femmes montrent généralement davantage d’activation cérébrale que les hommes lorsqu’elles sont soumises à une tâche émotive.»

Selon Mme Mendrek, ces résultats s’éloignent clairement de ce qu’on trouve chez des individus en santé. «Est-ce lié à un renversement du dysmorphisme sexuel normal entre les hommes et les femmes qui se manifeste par une féminisation des hommes et une masculinisation des femmes? se demande-t-elle. Il semble que ce soit le cas, à tout le moins sur les plans neuroanatomique et neurophysiologique. C’est une hypothèse que je veux explorer.»

La chercheuse présentera les résultats de son étude au congrès «Human Brain Mapping», qui aura lieu en juin à Florence.

Une méthodologie irréprochable

Depuis 10 ans, Adrianna Mendrek consacre son temps à l’étude de la schizophrénie. Au cours des quatre prochaines années, grâce à une bourse de 210 000$ du Fonds de la recherche en santé du Québec, elle se penchera plus précisément sur les différences hommes-femmes en matière de fonctionnement cérébral afin de mieux comprendre cette affection qui est plus fréquente que la maladie d’Alzheimer ou le diabète.

Le fait de tracer une ligne entre les caractères masculins et les caractères féminins n’est évidemment pas sans risque du point de vue scientifique. La chercheuse d’origine polonaise va donc s’assurer d’avoir une méthodologie irréprochable. Pour ce faire, elle aura recours, comme dans son étude préliminaire, à un instrument couramment utilisé pour mesurer les symptômes schizophréniques: la Positive and Negative Syndrome Scale (PANSS). La PANSS est un questionnaire en 30 points qui évalue les symptômes psychiatriques positifs, négatifs et généraux selon trois échelles distinctes. Tous les sujets seront alors comparables pour ce qui est de l’âge, de la scolarité, du nombre d’années pendant lesquelles la maladie a sévi et de la gravité de leurs symptômes.

«Je vais ensuite mesurer les effets de divers paramètres, dont le sexe, les degrés de masculinisation et de féminisation selon un inventaire de rôles établi à partir des différences entre les genres ainsi que les niveaux d’œstrogènes, de progestérone et de testostérone, sur le fonctionnement cérébral de patients schizophrènes et de sujets en santé, explique-t-elle. Le tout sera associé à des stimulus visant les processus émotionnels et cognitifs des participants, par exemple leur mémoire de travail et leurs habiletés verbales et visuospatiales.»

Les schizophrènes sont-ils dangereux?

La schizophrénie affecte 1 personne sur 100, un adolescent ou un jeune adulte trois fois sur quatre. Toutefois, les recherches indiquent que les difficultés d’attention et d’organisation de la mémoire débutent très tôt dans l’évolution de la maladie. Les premiers signes surviennent souvent pendant la petite enfance. Mais l’origine des troubles schizophréniques fait encore l’objet de nombreuses recherches.

«Ce qui est sûr, c’est que de multiples facteurs interviennent dans le déclenchement de cette maladie, estime Mme Mendrek. Le mécanisme est en partie lié à des déséquilibres biochimiques dans le cerveau. À l’origine de ces dérèglements, on trouve des facteurs génétiques et environnementaux.» L’hérédité joue un rôle indéniable dans le développement de la schizophrénie. Le risque de souffrir de la maladie est estimé à 5% si la personne a une tante, un oncle ou un cousin schizophrène et à 10% s’il s’agit de son père, sa mère, son frère ou sa sœur. Dans le cas d’un vrai jumeau identique, le risque grimpe à 50%.

En ce qui concerne les facteurs extérieurs, on évoque le rôle possible d’une infection par le virus de la grippe pendant la grossesse de la mère, rapporte Adrianna Mendrek. Un manque d’oxygène à l’accouchement est aussi étudié. À l’âge adulte, le stress peut révéler un trouble, mais n’en sera pas la cause. Il n’y aurait pas non plus de lien prouvé avec la prise de drogues même si ces dernières semblent pouvoir favoriser l’éclosion de la maladie. Selon les scientifiques, le profil génétique de l’individu déterminerait sa vulnérabilité. Difficile donc de faire la part des choses.

Si le film A Beautiful Mind, qui raconte l’histoire romancée du chercheur et Prix Nobel John Nash, a récemment permis de lever le voile sur certains mystères entourant la schizophrénie, le simple fait de prononcer ce mot crée encore de nos jours un malaise. «Il existe un mythe selon lequel les schizophrènes seraient dangereux. Le danger existe, reconnait Mme Mendrek, mais il ne donne lieu que très rarement à des drames. Si danger il y a, c’est davantage pour le malade lui-même que pour son entourage.»

Environ 13% des schizophrènes décèdent en effet par suicide. Toute la difficulté tiendrait au fait que la schizophrénie altère profondément la pensée, le raisonnement et les relations avec les autres, selon la chercheuse. «J’espère qu’un jour on parlera aussi aisément et sans gêne de la schizophrénie de son enfant, que du cancer du sein de sa conjointe ou de son double pontage cardiaque.»

Dominique Nancy

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