Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 27 - 10 avril 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La caricature comme pied de nez à la rectitude

La caricature n’est pas un art mineur, soutient Todd Porterfield

Todd Porterfield<p>

Une œuvre satirique de James Gillray: la liberté française et l’esclavagisme britannique<p>

La gloire de la Révolution française selon James Gillray

La caricature, souvent considérée comme un art mineur, a peut-être eu plus d’effet sur le déroulement de l’histoire que toutes les autres formes d’art réunies. La récente crise politique et diplomatique entourant la publication de quelques dessins de Mahomet est là pour nous rappeler la puissance que peut avoir cet art sur le conditionnement humain.

Lors de son invasion de l’Italie en 1796, Napoléon a utilisé la caricature pour amener le peuple italien à se soulever en faisant représenter l’État comme un tyran transpercé par une épée française; de la blessure s’écoulait du blé dont le peuple pouvait enfin se nourrir! Et il parait que le procédé a fonctionné.

Mais d’autres ont servi cette même médecine à Bonaparte. «Napoléon a déjà déclaré que les caricatures de James Gillray avaient fait plus que les armées anglaises pour le chasser du pouvoir», relate Todd Porterfield, professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques. «La caricature a une redoutable influence sur l’opinion publique et c’est pourquoi la France, l’Allemagne et l’Angleterre ont cherché à cette époque à contrôler les caricaturistes.»

La caricature mérite donc une attention particulière dans cette discipline qui combine l’art et l’histoire. Le thème de la caricature au 18e siècle fait même l’objet d’un cours à la maitrise en histoire de l’art. Todd Porterfield vient en outre d’obtenir une subvention du CRSH pour une recherche sur la caricature au tournant du 19e siècle. Le séminaire de maitrise a pour sa part conduit à l’organisation d’une exposition sur les caricatures de James Gillray à l’occasion d’un colloque international de deux jours tenu les 22 et 23 mars dernier.

Ce colloque était organisé par la Chaire de recherche du Canada en histoire de l’art, dont le titulaire est le professeur Porterfield, et a été suivi du congrès de l’American Society for Eighteenth-Century Studies. Les deux activités ont réuni quelque 800 dix-huitièmistes en provenance de France, d’Angleterre et d’Allemagne ainsi que des quatre coins de l’Amérique du Nord.

Un art riche

S’il peut paraitre étonnant à un profane que la caricature du 18e siècle soit l’objet d’une telle attention de la part des historiens de l’art, Todd Porterfield explique cet étonnement par une boutade: «C’est parce qu’on pense que ce qui est de l’art, c’est ce qui plait aux riches, dit-il. C’est aussi parce que la caricature est un art d’opposition et qu’on préfère le pouvoir au contrepouvoir.»

Dans l’exposition sur James Gillray, une première vitrine présente tout de même la caricature comme un art mineur. «Mais c’est ironique, précise l’historien. La caricature est un art riche, intelligent, qui véhicule de grandes idées et qui repose sur des expériences raffinées et complexes.»

Dans les années 1790, James Gillray a été à la solde du gouvernement conservateur anglais, qui a exploité son talent pour combattre les réformistes et susciter chez le peuple la crainte d’une invasion française. Plusieurs de ses caricatures illustrent par des scènes d’horreur ce qu’il adviendrait si les Français envahissaient le territoire. À l’époque, on ne s’offusquait guère de la scatologie; l’une des œuvres du caricaturiste montre l’Angleterre sous les traits anthropomorphiques de John Bull (l’équivalent de l’Oncle Sam) qui défèque sur des navires français. Une œuvre semblable du Français Jacques-Louis David montre le roi d’Angleterre personnifié par un diable qui expulse en guise d’excréments des impôts sur le peuple anglais.

La modernité et ses platitudes

La fin du 18e siècle a connu une véritable explosion de la caricature, qui était beaucoup plus riche sur le plan artistique que celle d’aujourd’hui. Les planches étaient distribuées ou affichées dans des cafés, encartées dans des journaux ou réunies sous la forme de volumes de collection.

«Cette explosion est en partie une réaction à l’art trop académique avec lequel la caricature était en opposition, signale Todd Porterfield. La caricature permet aussi de véhiculer une charge politique forte; elle agrandit la sphère publique et constitue un lieu de dialogue, de contradiction et de liberté. Dans la caricature, c’est la liberté qui parle et cette liberté est une idée centrale du 18e siècle; elle fait maintenant partie de la mythologie de l’Occident.»

C’est d’ailleurs au nom de la liberté que les médias ont justifié la publication des caricatures de Mahomet l’hiver dernier, un lien que le professeur Porterfield ne manque pas de souligner. Et si la caricature redevient importante aujourd’hui, c’est peut-être parce que la politique n’a plus de contrediscours et qu’il n’y a plus de débats sociaux, estime le professeur.

Cette idée d’art d’opposition est à la source du titre de l’exposition des étudiants: La modernité et ses platitudes: James Gillray and his Contemporaries. Les platitudes, ce sont les banalités et les lieux communs de l’art officiel et élitiste qui prétend, par exemple, être une «étincelle de la présence divine» et qui croit avoir un pouvoir intrinsèque.

Le caricaturiste s’inscrit en faux contre ces idées reçues et il est conscient de son rôle social. Un exemple typique de satire des valeurs de l’époque extrait de l’œuvre de James Gillray montre d’une part un citoyen français affranchi par la Révolution mais contraint de manger des ognons et, d’autre part, un lord anglais bien gras se plaignant d’être écrasé par les taxes mais se taillant une tranche de jambon!

Même si l’exposition est conçue par des étudiants de l’Université de Montréal, elle se tient jusqu’au 30 avril à la bibliothèque de l’Université McGill parce que les pièces viennent de la collection des livres rares de cet établissement et qu’il n’a pas été possible de trouver une fenêtre qui convienne au Centre d’exposition de l’UdeM. Mais les étudiants vont en tirer une exposition virtuelle enrichie qui sera accessible à partir du site du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques à la fin du mois.

Le colloque «L’efflorescence de la caricature au 18e siècle» devrait quant à lui faire l’objet d’une publication par la chaire du professeur Porterfield.

Daniel Baril

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