Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 27 - 10 avril 2006
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 Archives de Forum

Le contenu de la conscience visuelle

Pour la première fois, la conscience perceptuelle a été corrélée avec des informations visuelles précises

Frédéric Gosselin. Marché d’esclaves avec apparition du buste invisible de Voltaire, de Salvador Dalí<p>

Certains peintres et illustrateurs ont poussé à un degré très avancé l’art de l’illusion visuelle. En créant des objets «bistables» comme les escaliers de Schroeder, le cube de Necker ou le vase de Rubin – qui donnent l’impression de changer d’orientation ou qui laissent voir alternativement une forme puis une autre –, les artistes produisent des formes qui déroutent notre cerveau par la difficulté d’interprétation qu’elles comportent.

Le même procédé a été utilisé dans des tableaux plus complexes où une scène peut, par exemple, cacher un visage, un objet ou un personnage. La plupart des amateurs d’art peuvent contempler de tels tableaux sans trop se poser de questions sur la façon dont notre cerveau procède pour nous faire prendre conscience successivement de l’une ou l’autre des dimensions conflictuelles. Ce phénomène des formes incompatibles constitue toutefois un terreau propice pour la désignation des éléments précis pouvant être associés à la conscience de la perception visuelle.

Frédéric Gosselin, professeur au Département de psychologie, et deux collaborateurs de l’Université de Glasgow, en Écosse, ont exploité ce phénomène pour tenter de percer les mystères de la conscience visuelle. Leurs travaux, récemment rapportés dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, ont permis pour la première fois d’associer un contenu visuel à des variations d’amplitude des ondes cérébrales.

Buste de Voltaire qui disparait

Pour leur expérience, les trois chercheurs ont soumis des sujets à l’observation d’un tableau illusionniste de Salvador Dalí, Marché d’esclaves avec apparition du buste invisible de Voltaire. Le tableau a ceci de particulier qu’il cache un visage, celui de Voltaire, dans un ensemble de personnages. Le visage est en fait composé par deux religieuses dont les têtes forment les yeux de Voltaire, alors que le contour du buste est délimité par une ouverture en arche dans le mur arrière.

La perception d’un visage dans cette toile montre à quel point notre cerveau est physionomiste et anthropomorphiste. L’équipe de Frédéric Gosselin a voulu savoir si l’on pouvait associer la conscience de la perception visuelle d’un objet à une activité neurologique déterminée. Les expérimentateurs ont présenté aux sujets des parties du tableau de Dalí exploré à l’aide de la technique Bubbles, mise au point entre autres par Frédéric Gosselin.

«Cet outil permet de révéler ce qui, dans une image, produit une réponse perceptuelle comme celle des religieuses ou celle du buste de Voltaire, explique le chercheur. Plus particulièrement, nous avons échantillonné aléatoirement des morceaux du tableau dans différentes bandes de fréquences spatiales allant de l’information fine à l’information grossière. Ces données ont été par la suite corrélées avec l’image perçue par les sujets et avec l’amplitude de leurs ondes cérébrales.»

L’expérience a montré que la perception consciente du buste de Voltaire est associée à certains éléments du tableau en basses fréquences spatiales (information visuelle grossière) alors que celle des sœurs est plutôt corrélée avec certains éléments en hautes fréquences (information visuelle fine). Ces perceptions différentes ont aussi été reliées à différentes longueurs d’onde du cerveau.

«L’électroencéphalogramme de la partie centropariétale a montré que le cerveau oscille à une fréquence thêta lorsque le sujet perçoit certains des éléments responsables de la perception du buste de Voltaire et à une fréquence bêta lorsque le sujet voit certains des éléments responsables de la perception des sœurs», indique Frédéric Gosselin.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les différences d’amplitude ne sont pas uniquement liées à la granularité fine ou grossière des éléments du tableau puisque des éléments de même fréquence spatiale que le visage de Voltaire n’étaient pas associés aux ondes thêtas.

Neurones de la conscience

Selon Frédéric Gosselin, ces résultats confirment la théorie selon laquelle la conscience visuelle repose sur une synchronisation particulière des rythmes cérébraux. Ces travaux s’inscrivent dans un courant de recherche récent visant à trouver des corrélats neuronaux à la conscience visuelle.

L’un des pionniers dans ce domaine, Nikos Logothetis, directeur de l’Institut de biologie cybernétique à l’Institut Max Planck de Munich, recourt à la «rivalité binoculaire» pour déterminer de tels corrélats. «La rivalité binoculaire consiste à présenter un stimulus différent à chacun des deux yeux, mentionne Frédéric Gosselin. L’observateur perçoit alors une alternance du premier puis du second stimulus et ensuite une mosaïque des deux à intervalles irréguliers.»

Sur des modèles animaux, Nikos Logothetis et ses collègues sont parvenus à mettre au jour des neurones dont l’activité était corrélée avec la perception consciente de l’un ou de l’autre des stimulus présentés.

Le professeur Gosselin estime toutefois que les travaux de son équipe vont encore plus loin parce qu’ils ont permis de définir pour la première fois de manière précise le contenu de corrélats neuronaux liés à la conscience visuelle.

Daniel Baril

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