Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 28 - 18 avril 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Contrer l’excision sans imposer ses vues

Les intervenants en santé doivent se préoccuper de la construction identitaire des groupes culturels, selon Bilkis Vissandjée

Bilkis Vissandjée

Comme les autres institutions sociales, les services de santé sont de plus en plus souvent aux prises avec des questions éthiques liées à la diversité culturelle et religieuse et soulevant des interrogations parmi le personnel, qui ne sait pas toujours quelle attitude adopter.

Ces nouvelles situations nécessitent que les employés reçoivent une formation particulière pour éviter les jugements de valeur et ne pas s’aliéner la communauté culturelle concernée. «Il faut former plutôt qu’imposer notre façon de voir», affirme Bilkis Vissandjée, professeure à la Faculté des sciences infirmières et chercheuse au Groupe de recherche interdisciplinaire en santé.

Les questions interculturelles constituent la matière première avec laquelle travaille Mme Vissandjée puisqu’elle est également chercheuse associée au Centre de recherche et de formation du CSSS de la Montagne et membre du Comité provincial pour la prestation des services de santé et des services sociaux aux personnes issues des communautés culturelles.

La professeure participait, le 23 mars dernier, au colloque «Diversité de foi, égalité des droits», organisé par le Conseil du statut de la femme (CSF).

Accommodements: jusqu’où aller?

La question posée par le CSF – «Comment faire évoluer les institutions publiques vers l’inclusion des droits des minorités religieuses dans le respect des droits des femmes?» – traduit un certain désir de ménager la chèvre et le chou.

La préoccupation de Bilkis Vissandjée, en tant que formatrice, porte sur l’attitude du personnel des services de santé à l’égard tant des autres employés que des patients issus de communautés culturelles dont les normes sont différentes de celles de la société d’accueil.

«Quelles seront les éventuelles conséquences sur les droits des femmes si la société perçoit qu’il y a une montée de l’intégrisme religieux?» se demande-t-elle. Elle craint en fait que cette perception ne conduise à de l’intolérance vis-à-vis de la diversité religieuse.

«Si l’on considère, par exemple, la femme avec un hidjab comme une intégriste, cette perception va influer sur nos rapports avec elle. Si une infirmière veut porter le hidjab, la seule question à se poser est celle de sa compétence. Pour que cette compétence soit assurée, il faut réfléchir à des accommodements qui répondent à la diversité des besoins des étudiants.»

Ces accommodements doivent ainsi tenir compte du fait qu’une étudiante pourrait ne pas vouloir faire de stages le samedi. Le risque d’un effet boule de neige que pourraient avoir les demandes d’accommodement n’est pas en soi un élément de contrainte excessive, selon la professeure. «Une fois que l’Université a accepté une personne sur la base de critères d’admissibilité, il est interdit d’établir des distinctions discriminatoires à l’endroit de cette personne.»

Mais pour Mme Vissandjée, la formation doit dépasser les accommodements et amener les intervenants à comprendre comment se construit l’identité. «Il faut mieux comprendre la frontière symbolique de l’identité pour comprendre la façon de percevoir de l’autre et relativiser nos représentations identitaires à la fois personnelles, professionnelles et institutionnelles.»

Dans l’esprit de la professeure, ce questionnement doit se faire de part et d’autre, c’est-à-dire tant chez le personnel provenant de la société d’accueil que chez celui des communautés culturelles.

Mutilations génitales

Cette sensibilisation doit aussi englober les valeurs des patients. Dans les services de santé se pose inévitablement l’épineux problème de l’excision, une question sur laquelle travaille Bilkis Vissandjée depuis une dizaine d’années. Cette pratique est illégale au Canada, mais les intervenantes savent qu’il s’en pratique à Montréal, de même que des circoncisions à froid et sans soins adéquats, à des âges aussi avancés que 11 ou 12 ans.

Au Québec, toute personne qui soupçonne qu’une fillette risque de subir une mutilation génitale est en droit de signaler le cas à la Direction de la protection de la jeunesse. Fait surprenant, les interventions de Mme Vissandjée auprès des étudiantes ont davantage pour but de leur faire comprendre ce rôle puisqu’elles seraient plutôt portées à penser qu’il s’agit d’une affaire strictement personnelle et à adopter une attitude de non-ingérence.

Dans les hôpitaux, on considère même comme un accommodement raisonnable de consentir à la demande d’une femme infibulée (dont les grandes lèvres ont été suturées) d’accoucher par césarienne plutôt que de procéder à une désinfibulation. «Cette possibilité est accordée sur la base de l’impact psychologique que pourrait avoir la désinfibulation», indique Mme Vissandjée

Par rapport à ces mutilations, la professeure privilégie de nouveau l’information et la compréhension. «Je suis évidemment contre les mutilations génitales, mais la dénonciation n’est pas la bonne attitude, souligne-t-elle. Il faut d’abord comprendre pourquoi cette règle existe sans nécessairement imposer nos vues. Il faut aussi faire comprendre à ces femmes que la chose est illégale au Canada et les éduquer à la pratique de citoyenneté. En tant que mères, elles se doivent de donner les meilleures conditions possibles d’éducation et de succès à leurs filles. Elles ont choisi la citoyenneté canadienne – du moins celles qui ne revendiquent pas le statut de réfugiées –, cela comporte des prérogatives et une pratique citoyenne conséquente.»

Les avantages de la modernité reposent en fait sur des valeurs qu’il importe de préserver pour éviter que le relativisme culturel conduise à un gruyère social, un risque dont notre société n’est pas à l’abri, estime Mme Vissandjée.

«Le multiculturalisme pose la question de l’affirmation des normes sans tomber dans le piège de l’intolérance, signale-t-elle. Il faut savoir où mettre les balises, mais surtout comment les mettre et avec qui.»

Pour faire bouger les choses, la professeure croit qu’il faut davantage travailler en partenariat avec les groupes communautaires, qui ne sont pas suffisamment soutenus financièrement ni adéquatement informés. Le défi consiste à contrer l’excision sans s’aliéner les communautés visées.

Daniel Baril

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