Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 28 - 18 avril 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les gestionnaires ont beaucoup à apprendre des artistes

Les artistes du Cirque du Soleil s’entendent bien avec leurs gestionnaires

Isabelle Mahy a étudié le Cirque du Soleil dans son doctorat. «Une vraie tribu.»

Créateurs et gestionnaires du Cirque du Soleil font bon ménage et leur mode de fonctionnement pourrait inspirer de grandes organisations commerciales. C’est la conclusion d’Isabelle Mahy, qui a passé neuf mois sur le terrain à étudier cette «tribu» pour les besoins de sa thèse de doctorat, qu’elle vient de déposer récemment à HEC Montréal. «On dit souvent que le choc des idées entre artistes et gestionnaires fait naitre les meilleurs projets. Dans le cas du Cirque, c’est particulièrement vrai», déclare Mme Mahy, qui prendra part à la Collation solennelle des grades en mai prochain.

Le Cirque du Soleil, ce sont quelque 3000 employés dans le monde, dont près de 900 artistes. Plus de 40 nationalités y sont représentées et 25 langues parlées. Mais c’est aussi une gigantesque machine de 500 M$ US qui affiche une croissance annuelle de 15%. Plus de 50 millions de spectateurs ont assisté à un spectacle du Cirque du Soleil depuis 1984 et, cette année, 7 millions de personnes, soit l’équivalent de toute la population du Québec, verront une de ses productions. Comment artistes et gestionnaires s’entendent-ils dans la vie de tous les jours et comment le monde des affaires peut-il prendre exemple sur ce succès? Ce sont des questions que s’est posées Mme Mahy au cours de sa recherche, qui l’a occupée durant six ans.

«Plusieurs pratiques de gestion devraient s’inspirer du monde de l’art et des gens d’affaires en sont de plus en plus conscients, fait observer cette consultante en management qui possède 25 ans d’expérience acquises en France et au Québec et qui travaille actuellement pour la firme-conseil CGI. Les dirigeants ont beaucoup à apprendre des artistes parce que leur réussite repose aussi sur la créativité, sur l’imagination.»

Un travail d’ethnologue

Le mode de fonctionnement du Cirque est assez particulier. En plus d’être la seule multinationale du monde à avoir embauché en 2003 un «véritable idiot professionnel», payé à faire le fou à temps plein, l’entreprise lance des projets multidisciplinaires à gros budgets qui s’enracinent dans le lieu où ils sont destinés à prendre place. Et ces projets sont très sérieux. L’organisation a créé des espaces en fonction des besoins des spectacles en résidence, par exemple à Walt Disney World Resort à Orlando (La nouba), en Floride, à Treasure Island à Las Vegas (Mystère), au Nevada, et au Mirage Resort également à Las Vegas (nouveau spectacle en 2006). Sans compter les spectacles en tournée, qui occupent plusieurs équipes simultanément.

Lorsqu’un nouveau projet se dessine, on trouve autour de la table des administrateurs et des gestionnaires, mais aussi des architectes, des metteurs en scène, des scénaristes, des illustrateurs, des informaticiens et... un historien. «Tout nouveau spectacle doit tenir compte des racines culturelles de l’endroit où il sera présenté», explique Mme Mahy. C’est pourquoi la dimension historique est si importante.»

La doctorante, qui a obtenu l’autorisation de suivre toutes les étapes de la production d’un projet typique du Cirque, a abordé son travail comme une ethnologue. «Je partais le matin et je passais la journée au siège social du Cirque, dans le nord de Montréal. Le soir, je consignais mes impressions. Un vrai travail de terrain...»

À l’issue de sa recherche, sous la direction de Thierry Pauchant, elle a produit une thèse qui inclut un véritable récit, en plus des volets traditionnels: méthodologie et analyse. Il s’agit d’un roman de quelque 120 pages. «Mon récit ethnographique est devenu un texte de fiction. J’ai décidé d’aller jusqu’au bout de cette idée. Je me suis dit qu’un travail universitaire pouvait bien comprendre une part de création», dit l’auteure qui est actuellement à la recherche d’un éditeur.

Sa thèse a été soutenue devant un jury, comme le veut la plus pure tradition universitaire, mais a également fait l’objet d’une présentation devant la haute direction du Cirque. Un vrai spectacle avec musique, infographie et mise en scène. «Ça a été un succès, relate-t-elle. Je crois que les 25 personnes présentes se sont reconnues dans l’image d’elles-mêmes que je leur ai renvoyée. Il faut dire que les employés du Cirque sont très curieux de comprendre la culture interne de leur organisation. Mais elle leur échappe en partie.»

Un pour cent aux jeunes

Parallèlement aux préoccupations d’ordre esthétique et théâtral inhérentes à chaque nouveau projet, les concepteurs doivent toujours envisager la dimension sociale du Cirque. Ainsi donc, chaque année, le Cirque du Soleil consacre un pour cent des revenus de la billetterie à l’action sociale auprès des jeunes en difficulté. Des programmes internationaux sont de la sorte financés afin de permettre aux enfants des rues de s’intégrer à la communauté.

Depuis 1998, notamment, Cirque du Monde multiplie les ateliers de jonglerie, d’acrobatie et d’animation pour les jeunes de la rue. En Afrique, plusieurs centaines d’enfants ont participé à de telles activités et ont pu, grâce à une collaboration étroite avec des associations humanitaires sur le terrain, sortir de la marginalité. Pour celui qu’on qualifie de «plus grand cirque du monde», c’est une façon de ne jamais oublier ses débuts, les spectacles en pleine rue.

Pour Isabelle Mahy, la référence à l’organisation tribale n’est pas fortuite. Le Cirque du Soleil, fondé il y a 22 ans, fonctionne comme une véritable tribu. «Une tribu n’est pas une organisation militaire, souligne-t-elle. C’est un groupe qui a ses rituels, son langage et sa manière de faire, largement autorégulatrice.»

Et chaque tribu a son chef, charismatique et incontesté. Le fondateur Guy Laliberté occupe ce trône. Est-ce toujours l’homme de la situation? Isabelle Mahy refuse de répondre directement. «Il n’y a qu’à voir», se contente-t-elle de dire.

Mathieu-Robert Sauvé

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