Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 28 - 18 avril 2006
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 Archives de Forum

capsule science

Faut-il payer les donneurs de sperme?

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la procréation assistée, en mars 2004, il n’est plus possible de compenser les heures de travail manquées, le transport, ni même le stationnement à la clinique de fertilité des donneurs de sperme du Canada. L’article 12 (1) de cette loi dit en effet qu’il est interdit «de rembourser les frais supportés par un donneur pour le don d’un ovule ou d’un spermatozoïde». Résultat: de moins en moins d’hommes font des dons de sperme, et les cliniques doivent se tourner vers des «donneurs» américains qui, eux, sont payés.

Doit-on modifier les dispositions fédérales canadiennes et accorder une compensation raisonnable aux donneurs d’ici? «Je crois qu’un accommodement serait justifié, répond Bartha Maria Knoppers, professeure au Centre de recherche en droit public et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit et médecine. Si l’on ne trouve pas de donneurs uniquement animés par leur altruisme, l’avenir des banques de sperme pourrait être compromis au pays.»

Le don de sperme n’est pas l’acte désinvolte que la population tend parfois à imaginer. La contribution du donneur ne se limite pas au moment où il s’installe dans un isoloir avec des revues pornographiques (appelées pudiquement «aides visuelles»). Elle exige plusieurs rendez-vous médicaux, des tests exigeants, des rappels trimestriels.

Chez Procréa, par exemple, où l’on comptait encore récemment neuf donneurs (deux fois moins qu’avant l’adoption de la Loi), la banque de sperme pourrait être épuisée d’ici deux ans. Depuis la fondation de la clinique en 1990, plus de 2000 femmes ont eu recours à cette banque. Recrutés parmi les hommes de 18 à 40 ans en bonne santé, tous les donneurs doivent subir un examen de santé complet, incluant un test de dépistage de maladies transmissibles sexuellement (y compris le sida), tous les trois mois. Les échantillons sont mis en quarantaine 180 jours avant d’être utilisés. La banque de Procréa approvisionne plusieurs cliniques au Québec et dans les provinces maritimes.

Mme Knoppers a beaucoup réfléchi à ces questions puisqu’elle a fait partie de la Commission royale d’enquête sur les nouvelles techniques de reproduction, qui était présidée par la généticienne Patricia Baird. Cette commission, qui a produit son rapport en 1993, a ouvert la voie à la Loi sur la procréation assistée, adoptée en 2004. Mais cette loi, très restrictive, interdit toute forme de commercialisation des gamètes. «Notre code civil permet la compensation des donneurs, mais la Loi sur la procréation assistée a préséance sur celui-ci.»

La juriste Rosario Esasi, chercheuse postdoctorale au Centre de recherche en droit public, croit que le Canada devrait autoriser la compensation des donneurs, y compris le remboursement des heures de travail manquées lorsqu’ils doivent se rendre à la clinique. Mais aucune somme d’argent supplémentaire ne devrait inciter le «donneur» à s’exécuter.

Pour Me Esasi, la gestion des dons de sperme est délicate. «Il y a des débats où les solutions sont claires: c’est noir ou c’est blanc. Ici, on est dans une zone de gris», dit la chercheuse originaire du Pérou. La rétribution des donneurs pourrait permettre de reconstituer les réserves des banques de sperme, mais ouvrirait la porte à la commercialisation du corps humain, ce qui n’est ni légal ni éthique. On a vu, dans certains pays, un trafic d’organes destinés à la transplantation... pour qui est prêt à payer. Le risque touche aussi les femmes, dont les ovules sont très recherchés par les couples infertiles.

Cela dit, demander aux donneurs de sperme d’assumer une partie de leurs frais de déplacement équivaut à mettre la clé sous la porte. Or, même si la Loi n’autorise pas davantage l’importation de gamètes ou de tissus humains, les cliniques spécialisées ont trouvé un moyen détourné de s’approvisionner à l’étranger. «Nous nageons dans l’absurde», signale Bartha Maria Knoppers.

Mathieu-Robert Sauvé

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