Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 29 - 1er mai 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Des cerveaux et une machine de 6,2 M$

Le CERNEC vient d’acquérir un appareil d’imagerie cérébrale de pointe unique au Québec

À gauche, Franco Lepore. À droite, Anne-Sophie Dubarry, ingénieure de recherche et d’administration de système, a «testé» le nouvel appareil, capable de donner à la seconde près une lecture de l’activité cérébrale.

Comment le cerveau fonctionne-t-il? Les observations abondent, mais les modèles complets font défaut. Les neurologues et les neurochirurgiens ont relié des comportements à certaines parties du cerveau, mais plusieurs mécanismes neuronaux de la mémoire, du langage, de l’attention, de la douleur et des émotions restent obscurs.

«Les défis que pose le fonctionnement du cerveau sont encore immenses, affirme Franco Lepore, dont les recherches visent à mieux comprendre les structures cérébrales de la perception et de l’attention. Par exemple, de quelle façon le cerveau réagit lorsqu’une personne exécute plusieurs tâches en même temps? Quels processus sont à l’œuvre dans la récupération du cortex visuel chez la personne aveugle? Où se situe le foyer de l’épilepsie chez les individus atteints de la maladie?» Le professeur du Département de psychologie et directeur du Centre de recherche en neuropsychologie et cognition (CERNEC) de l’UdeM, l’un des plus importants centres de recherche en son genre au pays, tentera d’apporter des réponses à ces questions grâce à un outil de pointe unique au Québec.

Inauguré le 28 avril dernier, l’appareil d’imagerie cérébrale nommé magnétoencéphalographie (MEG) a fait officiellement son entrée à l’Université. Avec ses 275 capteurs rattachés à un casque en fibre de verre et ses éléments électroniques qui baignent dans de l’hélium liquide, afin d’assurer un état de supraconduction, il a l’air de sortir tout droit d’un film de science-fiction. Pourtant, il n’a rien à voir avec les gadgets de la série Star Trek. L’instrument de recherche ultrasophistiqué, le plus puissant du genre au Canada, permet de visualiser, avec une précision de l’ordre du millimètre, les champs magnétiques créés par les courants interneuronaux dans le cerveau.

«Contrairement à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF) et à la tomographie par émission de positons (TEP), la magnétoencéphalographie est capable de donner à la seconde près une lecture de l’activité cérébrale de façon non effractive et inoffensive pour le sujet, fait valoir le professeur Lepore, dont le laboratoire est aussi équipé pour l’enregistrement simultané de l’électroencéphalogramme (EEG). L’IRMF et la TEP possèdent une résolution temporelle beaucoup moins bonne, puisqu’elles évaluent essentiellement le débit sanguin ou l’oxygénation du sang, des processus bien plus lents que l’activité neuronale.»

Pour se faire une idée du potentiel de la machine, il suffit de savoir que, comparativement aux autres techniques couramment utilisées, elle permet de constituer une «carte fonctionnelle» de toute l’activité cérébrale. Avec un tel système, il est en effet possible d’enregistrer quasi instantanément les signaux de tout le cerveau, une percée qui a fait chuter le temps d’enregistrement de plusieurs heures à quelques minutes, tout en augmentant la précision des relevés.

«C’est fascinant, estime le chercheur. On peut voir la manière dont le cerveau traite l’information. Ce qu’on apprend sur le fonctionnement cérébral pourrait offrir de formidables perspectives dans le traitement de l’épilepsie et des affections neurodégénératives comme la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer.»

Voir comment le cerveau traite l’information

Précisons que le système de magnétoencéphalographie mesure les signaux de même source que l’EEG, soit le courant produit dans les neurones; mais, tandis que l’EEG s’intéresse aux champs électriques, la MEG se concentre sur les champs magnétiques accompagnant le courant. À la différence de l’EEG, la MEG ne nécessite aucun contact direct entre le corps et les électrodes.

La MEG emploie plutôt un certain nombre de capteurs placés à proximité de la tête qui sont reliés à un appareillage basé sur des magnétomètres appelés SQUID (acronyme anglais de «superconducting quantum interference device»). Ces derniers sont placés dans une pièce isolée magnétiquement par du mumétal, signale le directeur du CERNEC, qui abrite l’instrument de mesure. Ces capteurs sont immergés dans de l’hélium liquide contenu dans une cuvette cryogénique. La température très basse de l’hélium (-273 °C) confère aux capteurs des capacités supraconductrices et, par conséquent, une sensibilité à détecter les signaux magnétiques extrêmement faibles du cerveau.

«L’EEG s’est révélé un outil diagnostique utile en présence de traumatismes crâniens graves, de tumeurs cérébrales, d’infections cérébrales, d’épilepsie et d’autres maladies dégénératives du système nerveux. Mais son efficacité à titre d’instrument de recherche est limitée par le fait que cette technique enregistre l’activité électrique du cerveau et que les signaux sont déformés par la conductivité des méninges, du liquide céphalorachidien, de la boite crânienne et de la surface du cuir chevelu. La MEG peut servir à ces mêmes diagnostics ainsi qu’à des mesures cognitives très complexes sans les limites de l’EEG, puisque le champ magnétique n’est pas déformé par ces structures», résume Franco Lepore.

M. Lepore et ses collègues du CERNEC, qui compte à ce jour 32 chercheurs et 145 étudiants, en sont encore à apprivoiser la bête, acquise grâce à une subvention de 6,2 M$ de la Fondation canadienne pour l’innovation, du gouvernement du Québec et de plusieurs partenaires industriels. Actuellement, une grande partie du travail relève de la mise au point par une équipe d’ingénieurs, de mathématiciens et de physiciens des techniques d’analyse des données recueillies auprès de diverses populations de sujets. La tâche n’est pas aisée puisqu’il y a peu d’experts directement formés pour configurer l’appareil de manière à tirer profit au maximum de l’information obtenue.

«C’est assez laborieux», convient le professeur Lepore, qui accueille également dans son centre des chercheurs de divers milieux hospitaliers. Mais les espoirs sont grands. «Grâce à cet appareil, nous poursuivrons l’exploration des mécanismes de fonctionnement du cerveau et nous espérons percer quelques-uns de ses mystères.»

Dominique Nancy

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