Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 30 - 15 mai 2006
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 Archives de Forum

Le bigbang implose-t-il?

Le bigbang reste le modèle qui explique le mieux l’ensemble des observations en astrophysique, estime Robert Lamontagne

L’Univers, c’est gros comme ça, nous dit Robert Lamontagne.

La théorie de l’Univers en expansion, communément appelée bigbang, passe pour être un fait aussi démontré que la rotation de la Terre. Ce modèle a toutefois ses détracteurs, qui se font entendre de temps à autre.

Le dernier couac vient d’être donné par la revue Science et vie, qui publie dans son numéro courant une lettre de chercheurs dénonçant le fait qu’il n’y ait pas de salut possible en dehors du «dogme» du bigbang. Cette lettre est originellement parue dans le magazine New Scientist en mai 2004 et 34 chercheurs des domaines de la physique et de l’ingénierie en étaient les signataires. Sa version Internet est maintenant signée par plus de 400 chercheurs universitaires ou indépendants.

Un modèle unificateur

Robert Lamontagne, professeur au Département de physique de l’UdeM, n’est guère impressionné par cette nouvelle sortie. La déclaration très succincte oppose au modèle expansionniste celui de l’Univers statique et celui de l’Univers-plasma, mais sans démontrer comment ceux-ci expliqueraient mieux l’ensemble des observations.

«Le ton accusateur de la lettre nous en apprend plus sur la sociologie que sur la physique, déclare le professeur. En sciences, le fardeau de la preuve appartient à ceux qui proposent de nouveaux modèles. On est prêts à abandonner le bigbang si l’on nous apporte une meilleure théorie, mais les autres modèles ne convainquent pas l’ensemble des quelque 10 ou 20 000 astrophysiciens.»

Ce qu’on reproche essentiellement au bigbang, c’est de devoir recourir continuellement à de nouveaux objets hypothétiques pour ajuster la théorie aux observations. La matière sombre, dont seraient constitués plus de 90% de l’Univers et au sujet de laquelle on ignore tout, fait partie de ces objets hypothétiques. Les auteurs mettent également en cause l’idée d’une «inflation» qui aurait suivi les premiers instants du bigbang.

«L’inflation est une expansion très rapide de l’Univers à 10-38 secondes après le bigbang et qui a duré 10-32 secondes, indique l’astrophysicien. Elle permet d’expliquer la répartition uniforme de la matière dans l’Univers – malgré, à plus petite échelle, la concentration de galaxies en filaments – ainsi que le rayonnement fossile, qui est de même température dans l’ensemble de l’Univers. Si l’Univers était stationnaire, cette température devrait être égale au zéro absolu, soit -273 °C, température où les électrons ne bougent plus. Or, la température fossile est de trois degrés au-dessus du zéro absolu. Ceci est cohérent avec un modèle en expansion: si l’Univers était plus petit à l’origine, il était plus chaud qu’aujourd’hui.»

Les auteurs affirment à deux reprises que le bigbang n’a permis aucune prévision quantitative validée par l’observation. «C’est très gros comme accusation. Ce sont des attaques gratuites», rétorque Robert Lamontagne, qui mentionne que le rayonnement fossile était justement une prévision du modèle.

«Chacune des observations, comme le décalage du spectre des galaxies vers le rouge ou le rayonnement fossile, pourrait être expliquée autrement que par le bigbang, mais ce modèle est le seul à proposer une explication cohérente de l’ensemble des observations», soutient-il.

Modèle créationniste?

En plus de la matière sombre, le bigbang s’assombrit d’un autre objet obscur pour expliquer que l’expansion, loin de vouloir s’arrêter, s’accélère. Pas de bigcrunch donc à l’horizon. Mais pour élucider un tel phénomène, il faut évoquer une énergie inconnue, l’«énergie sombre».

Certains des opposants au bigbang considèrent par ailleurs que ce modèle sert très bien une vision créationniste du l’Univers puisqu’il fait appel à un début, alors que les modèles stationnaires postulent que l’Univers a toujours existé. L’idée d’un univers en expansion a été émise pour la première fois par un abbé, Georges Lemaître, qui a formulé l’hypothèse d’un atome primordial en s’inspirant des travaux d’Einstein.

«Le début de l’Univers est le talon d’Achille du bigbang, reconnait Robert Lamontagne. On n’a pas d’explication sur son origine et l’on ne sait pas ce qu’il en était avant 10-43 secondes. Mais cela n’invalide pas le modèle. Peut-être le saurons-nous dans 15 ou 20 ans.»

Opinion de dilettantes

Le propos de la lettre ouverte n’est pas d’apporter de nouveaux faits, mais de dénoncer l’absence de financement pour soutenir des travaux sur d’autres modèles. «Le doute et la dissidence ne sont pas tolérés. Ceux qui doutent craignent de perdre leur financement en le disant», peut-on lire.

Pour le professeur Lamontagne, cette idée de persécution tient de la paranoïa. «Si ces chercheurs ne trouvent pas de financement, c’est que le modèle proposé ne colle pas à la preuve. Le contenu des publications scientifiques est soumis à des arbitres, il y a donc une forme d’objectivité.»

Le premier nom sur la liste des signataires, Halton Arp, de l’Institut Max-Planck, «a eu du temps pour effectuer des observations, a été publié et n’a pas été mis à l’index, souligne le professeur. Mais il est le seul à croire à son modèle.»

Si les 34 premiers signataires sont issus de la physique, la plupart de leurs travaux remontent aux années 50, c’est-à-dire à l’époque du débat entre le modèle stationnaire et le modèle en expansion. «Aucun jeune chercheur connu n’a signé la lettre», affirme Robert Lamontagne.

Parmi les 218 signataires universitaires qui se sont ajoutés, on compte 9 Canadiens mais qui sont soit à la retraite, soit en dehors du champ de l’astrophysique, soit des inconnus. Deux disent être rattachés au Cosmology Institute, un organisme introuvable dans Internet. Un autre se réclame de l’Université de Montréal mais sans préciser qu’il a acquis sa formation en anthropologie.

«La plupart des signataires ne sont pas des astronomes, signale le professeur. Ils ont une opinion de dilettantes, comme je pourrais en avoir une sur une théorie en psychologie.»

Les instruments d’observation actuellement en cours d’élaboration permettront de scruter l’Univers encore plus loin que ne l’ont permis ceux des années 90. C’est à ce moment qu’on saura si le bigbang résiste aux nouvelles observations ou s’il n’aura été qu’un pétard mouillé.

Daniel Baril

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