Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 1 - 28 août 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les commotions cérébrales ont des effets à long terme

Les personnes ayant subi un choc à la tête réagissent parfois plus lentement aux commandes motrices qu’envoie le cerveau

Le football est un sport de contact et les collisions font partie du jeu.

Selon une équipe de neuropsychologues de l’Université, les commotions cérébrales subies sur le terrain par les joueurs de football auraient des conséquences beaucoup plus durables qu’on le croit. Survenues tôt dans la vie, elles entraineraient des anomalies du fonctionnement du cerveau qui pourraient avoir une incidence à long terme.

«Les tests que passent actuellement les footballeurs victimes de commotions cérébrales sur le terrain montrent que les effets mesurables disparaissent de 10 à 12 jours après le choc à la tête, explique Louis de Beaumont, qui rédige une thèse de doctorat sur la question. Or, nos recherches ont signalé que des séquelles sont observables jusqu’à neuf mois plus tard. Nous craignons même que les chocs au cerveau aient des répercussions permanentes.»

Au cours de ses travaux sous la direction de la neuropsychologue Maryse Lassonde, le chercheur s’est basé sur l’observation minutieuse de 52 joueurs de football de niveau universitaire qui avaient subi au moins une commotion cérébrale durant l’été 2004. Suivis pendant plusieurs mois après les incidents, les joueurs se sont prêtés à des tests neurocognitifs et à des séances d’imagerie médicale.

Même si tous les sujets paraissaient asymptomatiques (c’est ce qu’indiquait la batterie de tests la plus couramment utilisée), des failles ont été révélées dans le fonctionnement de leur cerveau plusieurs mois après le choc. En plus de présenter un électroencéphalogramme significativement modifié après l’incident, les victimes de commotions cérébrales souffraient de certaines anomalies du fonctionnement du système moteur. «Il faudrait revoir les tests employés pour effectuer le suivi des athlètes afin de gérer leur retour au jeu, car ces tests ne sont pas assez sensibles pour reconnaitre les séquelles des commotions cérébrales», estime M. de Beaumont.

Commentant cette étude, un autre chercheur de l’Université, Dave Ellemberg, neuropsychologue et professeur adjoint au Département de kinésiologie, s’est réjoui des travaux entrepris par Louis de Beaumont parce qu’ils permettront «de mieux évaluer les protocoles de retour au jeu après les commotions cérébrales».

M. Ellemberg – ainsi que Suzanne Leclerc, médecin à la Clinique de médecine sportive du CEPSUM – font passer des tests aux joueurs de football des Carabins qui subissent des commotions cérébrales. Le retour au jeu de ces joueurs est surveillé de près, il va sans dire. Le joueur qui subit un choc à la tête au cours d’un match se retire pour toute la durée du match. Et il ne fera de nouveau partie de l’équipe qu’après avoir fourni un effort physique sans qu’aucun des symptômes – maux de tête, nausées, étourdissements, flashs – liés à la commotion soit apparu.

Une nouvelle maladie?

Louis de Beaumont est lui-même un ancien sportif de haut niveau – il a joué au hockey jusqu’au rang junior en Ontario. Il s’intéresse aux commotions cérébrales depuis qu’il en a été victime à l’âge de 16 ans.

Avec l’aide de sa directrice et du professeur Hugo Théoret, un spécialiste de l’application de la stimulation magnétique transcrânienne, il a été le premier à se servir de cette technique afin d’évaluer le fonctionnement du système moteur des victimes de commotions cérébrales. Deux électrodes placées entre le pouce et l’index permettent de calculer l’intensité de la contraction musculaire et le temps écoulé entre la stimulation et le mouvement. «Nous avons noté des déficits importants dans le fonctionnement du système de communication interneuronal dans le cerveau des victimes de chocs à la tête», résume-t-il.

En d’autres termes, les personnes qui ont subi une commotion réagissent plus lentement aux commandes motrices qu’envoie leur cerveau vers leurs muscles. «Il s’agit de différences minimes à nos yeux – une quarantaine de millisecondes en moyenne entre les athlètes commotionnés et les athlètes n’ayant jamais subi de commotions cérébrales –, mais c’est une différence mesurable qui pourrait constituer un bon indicateur de l’importance des séquelles.»

Cette découverte majeure pourrait ouvrir la voie à un nouvel axe de recherche portant sur l’impact à long terme des commotions cérébrales sur le fonctionnement moteur des athlètes. Elle s’appuie sur une littérature scientifique abondante qui documente ce qu’on appelle la démence pugilistique. Les milliers de chocs à la tête que reçoivent les boxeurs professionnels au cours de leur carrière ont un effet dévastateur chez 30% d’entre eux. Ces anciens boxeurs souffrent d’une forme précoce de démence apparentée à la maladie d’Alzheimer. Or, bien avant d’avoir des troubles de mémoire, de la parole et des fonctions exécutives, les boxeurs présenteraient des anomalies motrices significatives.

À la lumière de ces travaux, les chercheurs voudraient vérifier si les commotions cérébrales auront des incidences sur le fonctionnement moteur d’anciens athlètes vieillissants. Évidemment, même les plus éprouvés des joueurs de football ne reçoivent pas autant de coups à la tête que le boxeur moyen. Mais cela n’empêche pas qu’ils seraient susceptibles de souffrir à long terme des collisions sur le terrain. «Nos recherches tendent à démontrer que quelques chocs violents auraient davantage d’effets que plusieurs petits. Pour les joueurs de football, ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle.»

Une population idéale

Pour les chercheurs en neuropsychologie, les joueurs de football universitaires constituent une catégorie rêvée de sujets de recherche. Tous ont le même âge et la même scolarité, un gabarit semblable et un profil socioéconomique relativement homogène. «De plus, ils ont répondu admirablement à notre appel», souligne le jeune chercheur.

Deux articles tirés de la thèse de Louis de Beaumont ont été soumis à des revues scientifiques. Mais une seconde expérience a déjà été mise en branle. Elle consiste en l’étude des effets à très long terme des commotions cérébrales. «Nous avons commencé à joindre d’anciens joueurs des Alouettes de Montréal et des Carabins pour leur demander de nous parler de leurs commotions cérébrales. La plupart se souviennent très bien de leurs plus graves blessures. Nous leur faisons subir une batterie de tests qui trace un tableau assez détaillé de leur profil neurologique. Sept anciens ont été testés jusqu’à maintenant et notre objectif est de 40 joueurs.»

Louis de Beaumont pense que les sportifs professionnels courent des risques certains de subir des commotions cérébrales. Des joueurs comme Brett Lindros au hockey ou Troy Aikman au football ont dû mettre fin à leur carrière à cause de tels incidents. Toutefois, le conservatisme règne dans les milieux sportifs. Si l’Université de Montréal voyait son approche reconnue par la communauté scientifique, les ligues sportives ne seraient pas pressées de l’adopter. «Notre recherche ébranle bien des certitudes, dit le doctorant. Tant qu’on croit que les commotions cérébrales n’ont pas d’effets mesurables après 12 jours, on n’a pas à changer les façons d’appliquer les règles du jeu...»

Mathieu-Robert Sauvé

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