Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 2 - 5 septembre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La musique qui fait peur résonne dans notre cerveau

Nathalie Gosselin dépose une thèse sur l’émotion musicale

Sans musique «épeurante», les films rateraient leur effet, c’est bien connu. Ce qui l’est moins, c’est le lien entre le cerveau et l’émotion musicale. Nathalie Gosselin lève le voile sur cette relation.

Sans la musique, les attaques de requins dans Les dents de la mer et le meurtre sous la douche de Psychose seraient presque banals. Ce sont les cordes nerveuses de John Williams et les violons stridents de Bernard Herrmann qui font dresser les cheveux sur la tête. «Nous savons tous que la musique fait passer les émotions, et le cinéma l’a compris depuis longtemps. Mais le lien entre le cerveau et l’émotion musicale est très difficile à mesurer scientifiquement», explique la neuropsychologue Nathalie Gosselin, qui a récemment déposé à l’UdeM une thèse de doctorat sur cette question.

Grâce à une expérience menée auprès de 32 sujets de recherche, dont la moitié avaient subi une excision du lobe médial temporal du cerveau, la chercheuse est parvenue à désigner une région, l’amygdale, qui joue un rôle névralgique dans l’émotion musicale, particulièrement lorsqu’il est question de la peur. «Des gens privés de cette structure mais en mesure d’apprécier normalement la musique joyeuse deviennent soudainement incompétents à reconnaitre une musique qui fait peur», dit la jeune femme.

Dans son expérience, elle a cherché à savoir comment cet analphabétisme émotif pouvait s’exprimer. Avec la collaboration de Bernard Bouchard, compositeur et agent de recherche au laboratoire mixte UdeM-McGill Brain, Music and Sound Research, elle s’est appuyée sur une banque de 150 mélodies gaies, tristes, paisibles ou inquiétantes jouées au piano. Conçues comme des musiques de film selon des paramètres éprouvés (tempo rapide pour les airs entrainants, accords mineurs pour les airs mélancoliques, etc.), les mélodies d’une durée de 6 à 10 secondes étaient évaluées par les sujets sur des échelles de 0 (émotion absente) à 9 (émotion très présente). «Nos résultats démontrent clairement que l’émotion musicale liée à la peur est rattachée à l’amygdale, car les gens qui ont subi une excision du lobe médial temporal se trouvent privés de cette émotion, même s’ils peuvent nommer les autres sans problème», affirme la chercheuse.

Avantage biologique?

Chez l’être humain, le fait de distinguer le caractère effrayant de la musique peut-il avoir des assises biologiques? Nathalie Gosselin pense que oui. Les stimulus de peur sont parmi les plus significatifs de notre répertoire sonore parce qu’ils correspondent à un signal de situations dangereuses, explique-t-elle dans un article que publiait la revue Brain en février 2005 (cosigné par Isabelle Peretz, Marion Noulhiane, Dominique Hasboun, Christine Beckett, Michel Baulac et Séverine Samson).

En comparaison des sentiments moins «urgents» comme la gaité, les émotions de frayeur, qui appellent une réaction immédiate de l’individu, seraient donc plus spécialisées dans le cerveau.

La musique, une forme de langage très complexe, a été utilisée dès les premiers stades de l’humanité: les peuples primitifs s’en servaient pour prévenir leurs membres du danger ou pour repousser les mauvais esprits. Mais que l’individu ait vécu au Paléolithique ou qu’il s’agisse de nos contemporains, l’apprentissage de la musique commence très tôt dans la vie. Dès le berceau, le bébé peut discerner la désapprobation dans la voix de sa mère. «Qu’elle soit acquise ou innée, la faculté de percevoir le danger lié à la musique – et les structures comme l’amygdale qui lui sont associées – a d’importantes fonctions biologiques», écrivent les auteurs de l’article. Ainsi, la musique de la voix pourrait être un support prélangagier pour communiquer des émotions entre le nourrisson et la mère.

La chercheuse a fait une autre découverte étonnante qui plonge au cœur même de la musique. «Certains sujets privés d’une structure appelée cortex parahippocampique repéraient facilement les mélodies tristes ou joyeuses, mais étaient incapables de juger du caractère désagréable des dissonances.»

Plus la lésion au cortex parahippocampique était importante, plus la musique discordante était anormalement jugée agréable. «Pour nous, cette reconnaissance était problématique.»

Dans la banque de données, un certain nombre de mélodies étaient en effet totalement insupportables sur le plan musical puisqu’elles étaient jouées un demi-ton trop haut. «Pour des musiciens, c’est l’équivalent du son produit par des ongles sur un tableau noir, compare Mme Gosselin. Or, pour les personnes qui avaient des lésions au cerveau, ces extraits dissonants étaient de la même teneur que les autres airs.»

Nouvelles recherches

Les résultats de ces travaux ont conduit la doctorante à lancer d’autres projets de recherche avec sa directrice, Isabelle Peretz. «Nous avons compris que nous étions sur une bonne piste», mentionne-t-elle.

Originaire de Bellechasse, Nathalie Gosselin a étudié à l’Université du Québec à Trois-Rivières (où elle a obtenu son baccalauréat en psychologie), puis à l’Université Laval, où elle a rédigé un mémoire sur la schizophrénie.

C’est au cours d’un stage de recherche au célèbre hôpital de la Salpêtrière sous la direction de Séverine Samson, à Paris, en 2002, auprès d’un groupe de personnes épileptiques, que l’idée de joindre l’étude de la neuropsychologie et celle de la musique a commencé à germer chez cette mélomane. «J’ai rencontré une vingtaine de patients qui avaient subi une ablation d’une partie du cerveau comprenant l’amygdale. C’était fascinant d’étudier leur façon de juger les émotions musicales», relate-t-elle.

L’originalité de la démarche de Nathalie Gosselin a consisté à utiliser l’imagerie cérébrale pour calculer le volume des structures du cerveau afin de montrer la corrélation significative entre le cortex parahippocampique et l’évaluation émotionnelle de la musique. «Il s’est écrit des centaines d’articles sur le cerveau et les émotions. Très peu ont mis au jour une corrélation entre l’étendue de la lésion d’une région cérébrale particulière et la gravité d’un trouble émotionnel», résume-t-elle. C’est sa recherche avec des épileptiques, auxquels d’autres sujets se sont ajoutés, qui a fait l’objet d’un article dans Brain.

Mathieu-Robert Sauvé

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