Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 3 - 11 septembre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Histoires à dormir debout

Le somnambulisme résulte d’une difficulté à passer du sommeil profond à l’état de veille

En plus de déambuler, les somnambules peuvent accomplir des actions complexes comme jouer d’un instrument de musique ou conduire une voiture.

Mai 1987. Kenneth James Parks se lève en pleine nuit et prend sa voiture pour se rendre chez ses beaux-parents, à 23 km de chez lui; il tue sa belle-mère avec un couteau de cuisine et blesse grièvement son beau-père. Il sera acquitté pour cause de somnambulisme!

«Il s’agit d’un cas extrême de somnambulisme», commente Antonio Zadra, professeur au Département de psychologie. Si toutes les histoires ne sont pas aussi dramatiques, on retrouve dans celle-là plusieurs éléments communs à la plupart des cas de somnambulisme: la déambulation nocturne, l’accomplissement de gestes complexes, des paroles cohérentes, le sentiment de crainte ou l’agressivité, la confusion dans l’interprétation de la situation.

Selon le psychologue, la majorité des somnambules consultent un médecin parce qu’ils se sont blessés, ont blessé d’autres personnes ou ont endommagé des biens au cours de leurs épisodes de somnambulisme.

On connait mal les causes de ce dérèglement du sommeil, mais les travaux du professeur Zadra, réalisés au Centre d’études sur le sommeil de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, ont fait avancer notre compréhension de cet étrange phénomène qui touche de deux à quatre pour cent des adultes. Le chercheur a entre autres réussi à prendre des mesures d’électroencéphalogramme (EEG) de sujets en état de somnambulisme.

Mélange de sommeil et de veille

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le somnambule ne rêve pas; il ne joue pas le contenu d’un rêve et l’état révélé par l’EEG est très éloigné de celui du sommeil paradoxal.

«Le somnambulisme est marqué par des ondes lentes deltas, qui sont caractéristiques du sommeil profond, associées à des ondes thêtas et alphas, qui elles sont des ondes de l’état de veille, explique le professeur Zadra. C’est un état mixte de sommeil et de veille. Les somnambules ont en fait de la difficulté à passer du sommeil profond à l’état de veille; la transition ne se fait pas.»

Les épisodes de somnambulisme ne se produisent jamais lors des phases du sommeil paradoxal, caractérisé par le rêve, et la présence simultanée des trois ondes s’observe toujours, quelle que soit la phase du sommeil où le phénomène survient. Comme dans le cas de Kenneth James Parks, le système perceptuel fonctionne dans la mesure où le dormeur se trouve dans un environnement connu.

Il existerait une prédisposition génétique à ce comportement; 80% des somnambules ont un autre membre de la famille qui est atteint de ce trouble. Chez les jumeaux, le trouble touche les deux individus six fois plus souvent chez les monozygotes que chez les dizygotes.

Les facteurs déclencheurs peuvent être la privation de sommeil, l’interruption du sommeil profond, la prise de certains médicaments, le stress, l’apnée du sommeil, la fièvre ou l’ingestion d’alcool. L’équipe d’Antonio Zadra s’est servi de ces connaissances pour mettre au point une technique permettant de provoquer des épisodes de somnambulisme en laboratoire. En privant les sujets de sommeil pendant 40 heures et en les réveillant par la suite à l’aide de stimulus sonores, on augmente de 500% les épisodes de somnambulisme et 80% de ceux-ci sont observables à l’EEG.

Souvenir et panique

D’autres travaux du professeur Zadra ont infirmé une idée répandue selon laquelle les somnambules ne se rappelleraient pas leurs troublantes excursions. La majorité des sujets interrogés se souviennent d’éléments associés à leur épisode: 74% rapportent des images, des idées ou des émotions accompagnant leurs déambulations et 47% perçoivent toujours ou fréquemment des éléments réels de leur environnement.

Antonio Zadra

Parmi les émotions mentionnées, les plus fréquentes sont la peur, la panique, la colère, la frustration et la détresse. Seulement 15% affirment que leurs épisodes ne sont jamais liés à un motif précis ou à un sentiment d’urgence.

Même si le somnambulisme est décrit comme un ensemble de comportements automatiques, des aspects cognitifs, émotionnels, perceptuels et affectifs y jouent un rôle important, en conclut le chercheur.

Des sujets développent même des pensées logiques très près de celles de l’état de veille. «Certains vont jusqu’à dire à leur conjoint: “Je ne suis pas somnambule présentement et le danger est cette fois-ci bien réel: un train va passer dans la chambre!” Et ils se mettent à déplacer les meubles», relate Antonio Zadra.

Est-il vrai qu’il ne faut pas, en pareil cas, «réveiller» le somnambule? «Il est préférable de ne pas le contrarier, reconnait le professeur. Si la personne est agitée, la brusquer peut aggraver son sentiment de crainte ou d’insécurité. Il faut plutôt la prendre par la main, lui parler calmement en lui disant qu’il vaudrait mieux qu’elle retourne se coucher.»

Toujours selon le professeur, le meilleur traitement non pharmacologique du somnambulisme serait l’autohypnose. La thérapie consiste à amener le sujet dans un état de relaxation et à lui faire visualiser des scènes où, par exemple, le contact du plancher froid le ramène à la réalité.

Comme les autres études sur le sommeil, les travaux sur le somnambulisme nécessitent la collaboration de nombreux volontaires. Ceux qui souhaiteraient y participer peuvent communiquer avec le laboratoire du professeur Zadra au 514 343-6111, poste 4788.

Daniel Baril

Ce site a été optimisé pour les fureteurs Microsoft Internet Explorer, version 6.0 et ultérieures, et Netscape, version 6.0 et ultérieures.