Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 4 - 18 septembre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Il y a des guerres justes et des guerres injustes

Christian Nadeau expose aux Belles Soirées les principes philosophiques et moraux permettant de juger de la justesse des guerres

La dépouille du caporal-chef Jeffrey Scott, qui a trouvé la mort en Afghanistan, a été rapatriée au Canada le 12 aout dernier.

Il peut paraitre paradoxal de chercher à constituer un «droit de la guerre», la guerre résultant habituellement d’un échec du droit. Même si la guerre vise à anéantir l’ennemi, tous les coups ne sont pas permis et de plus en plus de règles internationales sont énoncées afin d’en «civiliser» le déroulement.

Depuis Cicéron, philosophes, éthiciens, théologiens et aujourd’hui politologues réfléchissent sur la notion de «guerre juste». Christian Nadeau, professeur au Département de philosophie, en exposera les principes de base au cours de trois conférences données aux Belles Soirées.

«Les théories sur la guerre juste sont controversées, reconnait d’emblée le professeur. Parallèlement à cette approche, on trouve l’école “réaliste”, selon laquelle on ne doit pas faire intervenir de notions morales dans les questions de guerre. À l’autre extrémité, il y a le pacifisme, qui veut que toute guerre soit injuste.»

Aux yeux du philosophe, l’approche réaliste, qui ne juge la situation qu’en fonction des rapports de force, conduit à n’établir aucune distinction entre les agresseurs et les agressés. Le pacifisme, qui est intégré jusqu’à un certain point dans la notion de guerre juste, devient pour sa part irréaliste lorsqu’il est appliqué de façon absolue.

La guerre malgré soi

«Lorsqu’une nation est attaquée, elle a le droit de se défendre», donne-t-il comme premier exemple de guerre juste. Mais attention: cela ne signifie pas que tout acte de défense est nécessairement juste.

«Si l’autodéfense est légitime, elle doit demeurer proportionnelle au but poursuivi, précise Christian Nadeau. Se défendre en utilisant des armes de destruction massive contre les populations serait un moyen disproportionné de réagir et l’on ne peut prétexter la défense pour se livrer à des actes de vengeance ou à des représailles.»

La guerre juste est en fait celle qu’on mène malgré soit parce que les conditions nous y obligent et quand tous les recours non violents ont été employés et se sont avérés vains. L’intervention des Alliés dans la Seconde Guerre mondiale est considérée comme un épisode de guerre juste.

Christian Nadeau

Par ailleurs, toute agression n’est pas nécessairement injuste. «Il peut exister des guerres justes en dehors de la défense, poursuit le professeur. La guerre peut être juste lorsqu’il s’agit de défendre un tiers, comme dans le cas du Kosovo ou du Darfour, ou d’éliminer une menace.»

Ce dernier principe est cependant invoqué par tout agresseur, notamment par les États-Unis pour justifier la guerre en Irak. L’Allemagne a également fait valoir la protection des populations allemandes en Pologne pour envahir ce pays en 1939. Et Israël a allégué le droit de se défendre pour légitimer son attaque contre le Liban en juillet dernier. Toute guerre ne serait-elle pas une guerre juste selon l’angle où l’on se place?

«Non, répond le philosophe. Il ne suffit pas de prétexter un intérêt pour justifier un geste, sinon le vol pourrait être considéré comme un droit. Dans le cas d’une attaque préventive, il faut qu’il y ait une menace sérieuse et imminente contre le territoire. La légitimité d’une guerre ne se résume pas au point du vue de l’État concerné; elle repose sur des conceptions morales partagées par des gens rationnels qui ont une vision objective des faits.»

Même si les États-Unis ont souligné que les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki avaient permis de mettre fin à la guerre plus rapidement, personne aujourd’hui n’estimerait qu’il s’agit là de moyens justifiés selon les principes de la guerre juste, affirme Christian Nadeau. Même chose pour le bombardement de Dresde par l’Angleterre en 1945, qui a fait 35 000 morts parmi les civils.

Faux prétextes et moyens disproportionnés

Pour ce qui est de la guerre en Irak, «il est difficile d’y voir une guerre juste», risque prudemment le philosophe. Cela notamment parce que la raison avancée par les États-Unis – soit la présence d’armes de destruction massive – s’est avérée un prétexte et parce que le simple renversement d’un dictateur n’a jamais été une raison légitime d’attaquer un pays.

Quant à la guerre d’Israël contre le Liban, tous les recours non violents n’auraient pas été épuisés. Dans une lettre adressée au premier ministre Stephen Harper et publiée dans Le Devoir du 22 juillet, Christian Nadeau et sept autres universitaires laissent entendre que l’action israélienne a été disproportionnée et que les populations civiles ont servi à des fins de stratégie militaire, ce qui est contraire à la convention de Genève.

Les principes de la guerre juste ne se limitent donc pas aux conditions de l’entrée en guerre, mais couvrent aussi la façon dont se fait la guerre. «Que la guerre soit juste ou non, il existe des préceptes moraux qui encadrent les combats. Une guerre juste ne permet pas de passer outre à ces préceptes.»

Pour le professeur, les principes de la guerre juste ne sont pas que des moyens descriptifs, ils constituent également des outils normatifs. Ils ont permis d’établir le droit international en pareilles circonstances et notamment de créer les tribunaux pénaux internationaux. «Les quelques occasions où ces outils ont fonctionné nous ont permis d’accomplir des progrès énormes par rapport au 19e siècle», signale-t-il.

Les trois conférences du professeur Nadeau se tiendront les 19 et 26 septembre ainsi que le 3 octobre. Pour plus d’information, consultez le calendrier des activités sur le site <www.iForum.umontreal.ca>.

Daniel Baril

 

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