Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 4 - 18 septembre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Mon iPod me rendra-t-il sourd?

Le professeur Leroux croit que les décibels déversés dans nos oreilles menacent notre ouïe

Jeune et iPod: un mariage réussi

La compagnie Apple connait un succès planétaire avec ses baladeurs iPod. Au cours des deux derniers trimestres, 16 millions de ces merveilles électroniques ont été vendues dans le monde, une augmentation de 35% par rapport à l’an passé. Mais Apple n’est plus seule sur le marché. On prévoit que plus de 100 millions de téléphones portables achetés cette année possèderont un dispositif similaire pour écouter de la musique. Tous ces décibels déversés dans nos oreilles menacent-ils notre ouïe? «Absolument, répond l’audiologiste Tony Leroux, professeur à la Faculté de médecine. Les cellules ciliées de l’oreille interne sont sensibles au bruit de forte intensité et, lorsqu’elles sont détruites, rien ne peut les remplacer.»

Chacune de nos oreilles compte environ 15 000 de ces cellules, coiffées de fils microscopiques qui transforment les ondes sonores en influx électriques acheminés au cerveau. À force d’être sollicitées, ces cellules perdent de leur efficacité. «Nul n’y échappe, dit M. Leroux. Si l’on vit assez longtemps, on devient tous sourds un jour... Ceux qui vivent dans le bruit devancent l’échéance.»

Les entrées massives d’ondes sonores, qu’elles proviennent d’un marteau-piqueur, d’un orchestre symphonique ou d’un baladeur surchargent la capacité des cellules auditives. Celles-ci peuvent subir sans dommage un certain stress, mais les séquelles peuvent être graves si le bruit est fort et l’exposition répétée fréquemment. Les audiologistes affectionnent l’analogie de la chaise de jardin sur l’herbe. Si vous ne laissez que quelques heures une chaise sur la pelouse, les brins d’herbe aplatis retrouvent facilement leur forme. Après plusieurs semaines, par contre, ils sont écrasés. Jamais ils ne se redresseront. Entre le pavillon et l’oreille interne, c’est un peu la même chose. À force de solliciter les cellules de l’oreille interne, le bruit finit par les rendre inopérantes. C’est ainsi que l’individu cesse de percevoir certaines fréquences, de façon temporaire d’abord puis permanente.

«Ce n’est pas le fait d’avoir la source sonore à proximité du tympan qui pose problème, mentionne Tony Leroux à propos des baladeurs; certains concerts rock produisent des sons encore plus puissants. C’est le temps d’utilisation. Des études des années 90 révélaient que les baladeurs étaient utilisés jusqu’à 38 heures par semaine. Rien n’indique que les iPod soient employés moins souvent, au contraire.»

Les usagers qui règlent le volume à un niveau bas (moins de 50% du maximum) réduisent les risques de problèmes auditifs. «Le hic, c’est qu’on se branche le plus souvent dans des endroits bruyants, comme les autobus ou le métro. On doit donc augmenter le volume pour entendre quelque chose.»

En termes techniques, ce sont plus de 85 décibels (dB) qui vous bombardent les oreilles lorsque vous circulez en métro. Pour écouter votre musique préférée, vous devrez élever le volume jusqu’à plus de 95 dB, soit au-delà de la norme fixée par la Loi sur la santé et la sécurité au travail du Québec (90 dB). C’est l’équivalent d’une tronçonneuse en marche que vous tiendriez dans vos mains. «À cette intensité, on ne devrait pas dépasser 15 minutes d’exposition par jour», recommande M. Leroux. Par comparaison, les gens qui travaillent dans le secteur de la construction, les scieries, les mines et les compagnies papetières sont régulièrement soumis à des bruits de 100 dB.

Pour l’audiologiste, le public n’est pas suffisamment renseigné sur les dangers qui accompagnent cette nouvelle mode. Il est vrai que la perte de l’audition est sans douleur. Il faut parfois attendre 10 ou 20 ans pour en ressentir les premiers effets. «Une personne qui a surchargé son audition risque en réalité d’en accélérer la dégénérescence. Elle va se retrouver avec l’ouïe d’une personne âgée, mais 20 ou 25 ans plus tôt.»

Au début, ce sont les sons aigus qui deviennent moins audibles. L’ouïe sera moins bonne lorsqu’il y aura des bruits de fond. Un bourdonnement constant pourra également incommoder la personne aux prises avec une telle surdité partielle. Il lui sera peut-être difficile de dissocier les sons ambiants de ceux produits par quelqu’un qui parle. Sa compréhension de la parole pourra enfin être modifiée du fait de son incapacité à en entendre certains sons.

La surdité entraine des couts sociaux importants et suscite des problèmes interpersonnels non négligeables. Mais ce qui inquiète les experts, c’est qu’elle est de plus en plus précoce. «Une personne de 75 ans qui commence à être “dure d’oreille”, c’est un peu normal, nous disait il y a quelques années la directrice de l’École d’orthophonie et d’audiologie, Louise Getty, une spécialiste de la surdité professionnelle. Mais nous avons vu des cas de surdité grave chez des gens de 45 ans et même de 31 ans.»

On a mené des études chez des employés du secteur industriel. Là où le bruit ambiant dépasse les 90 dB, les effets sur l’audition commencent à se faire sentir après quelques années. «Après 10 ans d’exposition, la qualité de leur ouïe était comparable à celle de personnes de 60 ans n’ayant jamais été soumises au bruit», fait observer M. Leroux.

Amateur de blues, l’audiologiste avoue comprendre le plaisir de se déplacer coiffé d’un son ambiophonique. Il emprunte d’ailleurs à l’occasion le baladeur de son fils. «C’est fantastique! lance-t-il. Mais il faut y aller avec modération. Réduire le volume. Et prendre des journées de pause.»

Mathieu-Robert Sauvé

 

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