Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 4 - 18 septembre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les entreprises doivent se mêler de formation professionnelle

L’École de relations industrielles mène une enquête sur la formation professionnelle dans 10 pays

Un quart de siècle après que le milieu de l’éducation a sonné l’alarme quant à la crise que vivait la formation professionnelle, ce secteur est toujours... en crise. L’école n’arrive toujours pas à former les techniciens et ouvriers spécialisés que le marché du travail réclame à grands cris. «Comment se fait-il qu’un domaine lucratif, où l’on trouve des emplois dotés de bonnes conditions, manque à ce point de main-d’œuvre? C’est une question à laquelle nous n’avons pas encore de réponse satisfaisante», mentionne Jean Charest, professeur à l’École de relations industrielles et chercheur au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail.

Dans le contexte d’un projet de recherche financé par la fondation allemande Alexander von Humboldt, M. Charest a entrepris une étude comparative de la formation professionnelle dans 10 pays sur les cinq continents. Cette étude majeure, la première en son genre, à laquelle se sont joints Emploi-Québec et le ministère des Ressources humaines et du Développement social du Canada, a pu compter sur un budget global de 125 000$.

Avec son collègue Gerhard Bosch, de l’Université d’Osnabrück, M. Charest a constitué une équipe de 15 chercheurs qui, chacun de son côté, a été chargé d’un volet de la recherche. «Il s’agissait de dire, dans différents pays, pourquoi la formation de la main-d’œuvre était suffisante ou pas. Les collègues devaient nous fournir des études de cas à partir desquelles on a pu établir des comparaisons.»

Alors que cette enquête s’achève (un ouvrage paraitra dans les prochains mois), le chercheur est en mesure de constater que la situation pose problème un peu partout en Occident. Aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe, la formation professionnelle connait un passage à vide très préoccupant. Mais certains pays réussissent mieux l’arrimage entre les besoins en main-d’œuvre et les lieux destinés à l’alimenter. L’Allemagne et le Danemark, par exemple, sont les leaders mondiaux actuellement en la matière. «Là-bas, les partenaires économiques – syndicats, patronat et gouvernements – travaillent ensemble pour orienter les jeunes vers des secteurs où les besoins sont les plus pressants. Le milieu scolaire s’adapte et tout le monde participe à la formation des nouveaux employés.»

École et travail, même combat

Les conséquences de cette crise sont très sérieuses. D’un côté, les entreprises subissent des baisses de productivité faute de travailleurs qualifiés. De l’autre, les jeunes quittent l’école sans avoir obtenu de diplôme qui leur ouvrirait les portes du marché du travail. Comme l’expliquent les chercheurs dans un résumé de leur recherche, on se retrouve avec «une proportion grandissante de diplômés universitaires possédant une formation largement théorique et un grand nombre d’ouvriers qui n’ont pas reçu de formation adéquate pour les emplois disponibles».

«On veut tous que nos enfants deviennent avocats ou médecins. Mais on est contents quand on peut compter sur un bon mécanicien ou un bon plombier», dit Jean Charest.

Comment expliquer la crise internationale de la formation professionnelle? Les chercheurs montrent du doigt l’essor sans précédent de l’éducation supérieure au cours des dernières décennies. «On a beaucoup valorisé les études universitaires, l’économie du savoir, souligne M. Charest. Les emplois spécialisés en ont souffert.»

Parallèlement à cette réalité, la demande d’employés qualifiés s’est accrue à un point tel que les entreprises ne peuvent plus compter sur leurs propres ressources en matière de formation. L’époque des «apprentis» qui apprenaient leur métier sur le tas est bien révolue.

L’étude comparative révèle que les pays où l’école et les acteurs du marché du travail collaborent le plus étroitement sont ceux où la situation est la moins alarmante. «Cela signifie que les entreprises s’engagent dans l’élaboration des programmes scolaires, en plus d’offrir des milieux de stage et de financer les lieux de formation. Par comparaison, la crise de la formation professionnelle perdure dans les pays où règne une économie libérale. Ainsi, en Allemagne, il est très rare qu’un soudeur ou un machiniste soient embauchés sans avoir d’abord suivi une formation reconnue.»

L’espoir: les passerelles

Au Québec, la situation est particulière. Le taux de syndicalisation y est élevé, l’État est plutôt interventionniste et les entreprises ne s’investissent pas trop dans la formation. «Il ne s’agit pas seulement de prendre part à des consultations ici et là, dit M. Charest. Les gens d’affaires doivent être présents dans les comités d’élaboration de programmes, apporter leur contribution à tous les échelons de la formation.»

Les chercheurs ont analysé le cas de pays qui sont plus rarement étudiés, comme le Mexique et le Maroc. «Ces deux pays nous montrent l’importance, pour une formation professionnelle efficace, de disposer d’un marché du travail dynamique», indique le professeur Charest. Quand une nation s’appuie largement sur une économie parallèle, difficile d’amener les entrepreneurs au conseil d’établissement. «Ce n’est pas dans les priorités du Maroc, qui connait un haut taux d’analphabétisme.»

Pour le professeur de l’Université de Montréal, le monde scolaire doit faire sa part pour s’adapter aux nouvelles réalités. Comment? En faisant preuve de plus de flexibilité dans ses programmes et en renonçant aux formations «cul-de-sac». «À l’école secondaire et au cégep, on doit offrir la possibilité à des jeunes de se recycler sans qu’ils aient à recommencer leur programme. Par exemple, pourquoi un technicien en mécanique ne pourrait-il pas devenir, en étudiant à temps partiel, un ingénieur mécanique? Actuellement, ce n’est pas possible.»

Les cégeps élaborent de leur côté des «passerelles» permettant justement aux élèves d’accéder à des formations plus appropriées sans avoir à reprendre intégralement un programme. «Le gouvernement doit encourager cette souplesse», estime-t-il.

Et si Jean Charest était au pouvoir? Il lancerait une grande campagne de promotion des emplois dévalorisés. «On veut tous que nos enfants deviennent avocats ou médecins. Mais on est contents quand on peut compter sur un bon mécanicien ou un bon plombier. Il faut changer cette perception.»

Mathieu-Robert Sauvé

 

 

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