Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 5 - 25 septembre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Solidarité chez les professeurs

Jacques Rouillard publie l’histoire du SGPUM

Les professeurs d’ici ont apprivoisé le syndicalisme par étapes, constate Jacques Rouillard.

L’historien Jacques Rouillard signe chez Boréal l’histoire du Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal (SGPUM), intitulée Apprivoiser le syndicalisme en milieu universitaire. Il répond à nos questions.

Forum: De façon générale, comment résumer l’attitude des professeurs de l’Université de Montréal à l’égard du syndicalisme?

Jacques Rouillard: Le «nous» collectif syndical a eu du mal à s’imposer parmi les professeurs. Cela s’explique en partie par la présence de facultés professionnelles – droit, médecine, médecine dentaire, optométrie –, où historiquement les professeurs ont été réfractaires à l’idée de la négociation collective. Pour plusieurs, le syndicalisme, c’est une affaire d’ouvriers qui convient mal au statut d’universitaire. Pourtant, à l’Université Laval, où la composition du corps professoral est semblable à la nôtre, il y a eu un syndicat accrédité en même temps que le nôtre et trois grèves depuis sa mise en place. Les professeurs d’ici attendront 2005 pour déclencher leur premier arrêt de travail.

Pourtant, c’est à l’Université de Montréal que se manifestent les premiers signes d’une volonté syndicale afin de défendre les droits des professeurs. Dès les années 40, les professeurs de la Faculté des sciences se regroupent dans le but de revendiquer l’équité salariale avec leurs collègues de l’Université McGill. Ils obtiennent même un «certificat de représentation syndicale» en 1947, une première en Amérique du Nord. Le vulgarisateur scientifique bien connu Fernand Seguin, qui est alors professeur de biologie, est au premier rang des contestataires, à titre de secrétaire de l’Association des professeurs de la Faculté des sciences. C’est dans cette faculté que travaillent le plus de professeurs de carrière. Ailleurs, ce sont surtout des professeurs à temps partiel jusqu’aux années 50.

Q.: Lorsque vous acceptez d’écrire l’histoire du SGPUM, en 2005, vous vous attendez à une tâche «plutôt aisée et expéditive», comme vous l’écrivez en avant-propos. Le travail s’avère plus compliqué que prévu. Pourquoi?

R.: Le Syndicat voulait souligner son 30e anniversaire avec un ouvrage sur son histoire. Or, à force de me documenter et de scruter les archives de l’Université, je me suis rendu compte que le syndicalisme d’ici remontait bien avant 1975. En 1966, des professeurs forment un syndicat pour protester contre l’adoption de la nouvelle charte de l’Université [qui entrera en vigueur en 1967]; les professeurs considèrent notamment que la structure proposée ne leur donne pas assez de pouvoir. Plus loin dans le passé, on trouve l’Association des professeurs, formée en 1955, qui succède à l’Association des professeurs de la Faculté des sciences. Il s’agissait d’un regroupement professionnel qui faisait des représentations auprès de l’administration. Il a obtenu la création d’un fonds de retraite et d’une échelle salariale en 1960. L’idée de défendre collectivement leurs droits et intérêts est donc bien présente chez les professeurs depuis plus de 60 ans, mais elle n’a rallié que lentement la majorité. Le titre de mon livre a été choisi en fonction de cette lente évolution. Les professeurs d’ici ont «apprivoisé» le syndicalisme par étapes.

Q.: Les salaires des professeurs d’université ont longtemps été modestes. Dans les années 40, les nouveaux professeurs gagnaient deux fois moins que les ouvriers qualifiés et ils étaient moins bien rémunérés que les enseignants du secondaire. Le retard a-t-il été comblé depuis?

R.: Manifestement, oui. Avec des échelles annuelles qui vont de 55 000$ à 110 000$, les salaires des professeurs dépassent ceux des enseignants des écoles secondaires. Mais ils ne sont pas aussi élevés que la moyenne des salaires versés dans les autres grandes universités canadiennes. À noter aussi que la charge de travail des professeurs a considérablement augmenté. À mon grand étonnement, j’ai pu constater, par exemple, que le nombre de professeurs réguliers à l’Université de Montréal en 2003 était le même qu’en 1980. Le nombre d’étudiants, lui, a crû de 38% entre ces deux années. Sans compter les exigences de production en recherche, la course aux subventions, etc. Pendant plusieurs années, les augmentations de salaire des professeurs étaient alignées sur celles des employés des secteurs public et parapublic, ce qui s’est traduit par de très faibles hausses dans les années 80 et 90.

De plus, la compétition entre les universités a amené une nouvelle réalité: les traitements individuels. Plus du tiers des professeurs en 2004 ont eu droit à une prime qui se situait en moyenne à 13 000$. La mesure permet selon l’administration d’attirer ou de garder des professeurs qui, autrement, ne feraient pas de carrière universitaire ou choisiraient une autre université. Mais cela rend plus difficile la solidarité professionnelle...

Q.: Qu’a donné la grève de 2005? A-t-elle marqué l’histoire du SGPUM?

R.: Sur les gains obtenus, les opinions des professeurs sont partagées. Moi, je crois que la grève a été utile même si l’objectif de rattrapage salarial n’a pas été totalement atteint. En tout cas, elle a forcé une négociation rapide. Sans la grève, on serait probablement encore en train de négocier, comme dans le cas des négociations antérieures, qui s’éternisaient.

Cette première grève a assurément marqué l’histoire du SGPUM. L’équipe qui compose le bureau actuel est plus revendicatrice et plus militante qu’auparavant. Il fallait du culot pour demander et obtenir le mandat de grève l’an passé. Il est remarquable que les 600 professeurs présents à l’assemblée du Collège Jean-de-Brébeuf aient voté à 75% en faveur de l’ajout de 12 jours de grève après avoir débrayé six jours. Peu d’entre nous pensaient jamais voir ça.

Ce n’est pas fini. Le SGPUM veut maintenant mobiliser ses membres pour démocratiser les structures de l’Université, par exemple l’élection du recteur. Une telle demande avait été faite par l’Association des professeurs en 1964. Si l’on pouvait dire, autrefois, qu’il n’y avait pas de tradition militante à l’Université de Montréal parmi ses professeurs, ce n’est plus vrai aujourd’hui.

Q.: Vous affirmez ne pas avoir écrit «l’histoire officielle» du SGPUM, mais un membre du bureau a lu le manuscrit avant que vous l’envoyiez à l’éditeur. N’y a-t-il pas là contradiction?

R.: On a fait appel à mon expertise en histoire des relations de travail. J’ai accepté de faire ce travail bénévolement, en posant comme condition que j’étais seul responsable de l’interprétation qui s’y trouve. Un membre du bureau, Serge Larochelle, a lu mon texte et formulé quelques commentaires, que j’étais libre d’accepter ou pas. Je le remercie dans l’ouvrage. Mais il s’agit de ma vision de l’histoire du SGPUM et non de celle du bureau. D’ailleurs, nos points de vue ne convergent pas sur tout, notamment sur la désaffiliation l’an dernier du SGPUM de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université.

Mathieu-Robert Sauvé

 

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