Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 5 - 25 septembre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

L’Évangile selon Bad Religion

Le rituel des concerts rock a remplacé celui de la religion

Le groupe Bad Religion en concert

On imagine que le théologien est un amateur de musique grégorienne, mais ce n’est pas le cas de tous. Jean-Guy Nadeau, professeur à la Faculté de théologie et de sciences des religions, préfère quant à lui le heavy metal!

Il est même un mordu du groupe américain Bad Religion, une formation punk qui n’a surement pas la cote auprès de tous les théologiens. Ce groupe marginal et alternatif se produisait la semaine dernière à Montréal, dans un spectacle donné en collaboration avec la radio étudiante de l’UdeM, CISM. Jean-Guy Nadeau y était, à la fois comme chercheur et comme amateur.

Il n’a compté «aucun gothique dans la foule. Rien que des punks bien», à qui il semble prêt à donner le bon Dieu sans confession.

Culture religieuse imposante

«Il y a beaucoup de références religieuses dans le heavy metal. Certains de ces musiciens ont été élevés dans une culture religieuse fondamentaliste très forte et connaissent la Bible mieux que moi», affirme M. Nadeau.

Le professeur a même fait de l’étude des contenus religieux dans les chansons rock un de ses axes de recherche. «Je suis venu à ce thème par plaisir parce que j’ai toujours aimé cette musique. Depuis les années 80, j’ai répertorié de 400 à 500 chansons contenant des citations bibliques ou des renvois à Dieu. Dans le seul spectacle de U2 présenté au Centre Bell l’année dernière, 22 des 27 chansons comportaient des références religieuses.»

Jean-Guy Nadeau

Selon le chercheur, les fragments bibliques relevés dans ces pièces proviennent surtout de la Genèse et des Évangiles, mais on trouve également des références au Livre des Psaumes, au Livre des Prophètes, à Isaïe, à Job et à l’Apocalypse, ce qui témoigne d’une culture religieuse plutôt étonnante. Les thèmes sont ceux du paradis, de Babylone, de la croix, de la résurrection, des Béatitudes et l’on s’en prend ou l’on s’en remet allègrement à Dieu lui-même.

Un tel contenu est révélateur de l’importance de la religion dans la culture populaire américaine. «Une telle chose serait impensable au Québec ou en France, reconnait Jean-Guy Nadeau. Les jeunes ne comprendraient pas de quoi il est question.»

Même lorsqu’ils sont sans contenu religieux, les concerts rock remplissent en eux-mêmes certaines fonctions qu’occupait le rituel religieux, estime le théologien. «Ces concerts remplissent une fonction identitaire, servent à forger notre rapport à l’autre, à exprimer des valeurs communes, à nourrir l’espoir, à communier, autant de rôles dévolus au rituel religieux.»

Cela, bien sûr, ne fait pas du concert rock un rituel religieux, mais montre que ce type de rencontre prend le relai de la religion lorsque vient le temps de combler le besoin d’appartenance et d’identité sociales chez les jeunes.

Prières et invectives

La musique heavy metal et la religion font-elles bon ménage ou ce mariage est-il destiné à dénigrer les croyances des bienpensants? «Quand on s’adresse à Dieu, c’est autant pour l’invectiver que pour le prier», observe le professeur. Pour un groupe comme Bad Religion, dont les membres se disent athées, il ne fait pas de doute que la religion, ce sont des bêtises. D’autres, comme U2 ou David Bowie, offrent de véritables prières d’action de grâces. Plusieurs festivals explicitement chrétiens de musique rock se tiennent d’ailleurs chaque année aux États-Unis.

Lorsque le recours au religieux se veut accusateur, le théologien y voit un message qui va au-delà de l’aspect iconoclaste ou blasphématoire. «Ces groupes emploient des expressions de la religion pour critiquer et transformer la société; l’irrévérence religieuse est mise au service de la critique sociale», croit-il.

Tell me! Tell me where is the love In a careless creation?

When there’s no above

There’s no justice

Just a cause and a cure

And a bounty of suffering

It seems we all endure

And what I’m frightened of

Is that they call it God’s love

-

Extrait de la chanson God’s Love, de Bad Religion

Dans cette veine, Bad Religion publie dans son site Internet un manifeste situant le mouvement punk dans la lignée des Lumières! Ce manifeste «humaniste» replace l’être humain en lien avec la nature, fait reposer sa dignité sur la raison et rejette l’association établie entre culture punk et violence.

Selon le professeur, cette question de la souffrance et du mal a été oubliée au profit d’une vision édulcorée de la vie, alors qu’il est du devoir du théologien «d’interroger Dieu» à propos de la souffrance. L’irrévérence religieuse dans la musique rock constituerait donc une occasion pour le chrétien de se réapproprier le texte biblique à travers ce qui apparait comme un croc-en-jambe à la théologie du «Dieu vous aime».

Métal violent

Le professeur Nadeau est toutefois conscient que le heavy metal est parfois très violent dans son utilisation de la religion et se situe à la limite de l’inacceptable. Ce serait là des dérapages reflétant les dérives de certaines Églises fondamentalistes. «On pourrait croire que des groupes rock, comme des Églises, sont en guerre et que la Bible s’avère une arme pour les uns et les autres», remarque-t-il.

Certaines chansons et certains sites Internet mélangent à qui mieux mieux l’homophobie, la haine de l’espèce humaine, la lutte contre l’avortement, le tout associé aux menaces de châtiments divins. «Il y a des groupes métal qui paraissent aussi fondamentalistes que ceux qu’ils dénoncent», déplore le théologien, en soulignant qu’ils sont les héritiers d’une culture de la violence.

Daniel Baril

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