Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 7 - 10 octobre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

capsule science

Y a-t-il plus d’enfants maltraités au Québec?

Selon les plus récentes statistiques de l’Agence de santé publique du Canada, le nombre de signalements d’enfants maltraités a doublé entre 1998 et 2003, passant de 24,55 à 45,68 pour 1000. Même quand on exclut de ce nombre les signalements non fondés, soit les cas non retenus après enquête, on passe encore du simple au double (de 9,71 à 21,71 pour 1000). «Il est évident qu’il y a soit une hausse significative de la maltraitance envers les enfants au pays, soit une augmentation de nos seuils de tolérance à l’égard de ce problème social. La maltraitance est un problème majeur de santé publique», résume Claire Chamberland, professeure à l’École de service social et chercheuse dans le domaine depuis plus de 25 ans.

Sur 100 cas avérés de maltraitance, la négligence (29%) et la violence physique (24%) sont les deux premiers motifs rapportés, suivies de l’exposition à la violence familiale (28%), de la violence psychologique (15%) et des sévices sexuels (3%). Pour des raisons complexes de regroupement de données, il est impossible de connaitre actuellement les variations provinciales qui permettraient de comparer le Québec avec le reste du Canada, mais, selon la spécialiste, la situation d’ici est vraisemblablement analogue à la moyenne.

Comme on n’a pas toujours inclus dans les données les cas de violence psychologique ou d’exposition à la violence conjugale, ceux-ci ne gonflent-ils pas artificiellement les données? «C’est vrai qu’on parlait peu de violence psychologique et d’exposition à la violence conjugale comme faisant partie du phénomène de la maltraitance au début des années 90, mentionne Mme Chamberland. Mais il est de plus en plus reconnu que ces situations peuvent laisser d’importantes séquelles chez les jeunes qui en sont victimes. Ce sont les nouveaux visages de la maltraitance.»

Selon les spécialistes en la matière, la négligence ne se résume pas aux enfants laissés sans surveillance quelques minutes ou qui rentrent chez eux après l’école la clé autour du cou. «La négligence est constituée de cas graves tels que des enfants à qui personne ne donne à manger pendant une longue période, des enfants qui ne reçoivent pas les traitements médicaux requis, des bambins abandonnés à leur sort plusieurs heures, des enfants qui font l’objet d’indifférence et d’insensibilité ou encore des jeunes qui s’absentent régulièrement de l’école alors qu’ils sont mineurs.»

En ce qui concerne l’exposition à la violence conjugale, elle est définie par des exemples concrets. Le fait de voir son père battre sa mère en est un. Mais la définition englobe les témoignages indirects. «Un enfant me disait qu’il ne voyait pas son père battre sa mère, mais qu’il les entendait clairement à travers les murs. Il était terrorisé par ces bruits. La littérature scientifique est assez claire à ce sujet: le développement des enfants exposés aux situations violentes peut être entravé.»

Le fait d’élargir notre définition de la maltraitance est un signe des temps. D’ailleurs, dans l’histoire de l’humanité, on n’a pas toujours pris au sérieux les mauvais traitements et la négligence grave à l’endroit des enfants. Un chercheur de l’Université Laval, Jean Labbé, a rappelé au cours d’une conférence récente que les enfants maltraités ont été extrêmement nombreux de l’Antiquité jusqu’au 20e siècle. Au siècle dernier, ce sont des enfants qui descendaient dans les mines de charbon en Angleterre. En 1874, on rapporte l’histoire de Mary Ellen Wilson, une fillette de neuf ans victime de plusieurs types de sévices dans sa famille d’accueil à New York; l’enfant était enfermée, battue quotidiennement et privée de soins et de vêtements adéquats. Il a fal

lu attendre que le président de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPCA) accepte de porter l’affaire devant les tribunaux pour que cessent ces sévices, car aucun organisme similaire pour les enfants n’existait. La SPCA était présente depuis 1866 aux États-Unis et 1824 en Angleterre.

À partir de cette affaire, cependant, les sociétés de protection de l’enfance vont se multiplier dans différents pays occidentaux. Elles joueront un rôle majeur auprès des législateurs dans la mise en œuvre de lois destinées à protéger les enfants. La première loi canadienne sur la protection de l’enfance a été adoptée en Ontario en 1893.

Pour Mme Chamberland, la société a beaucoup évolué depuis cette époque, mais il reste encore du chemin à parcourir. «La prévention de la maltraitance devrait être une priorité gouvernementale, estime-t-elle. Les gouvernements doivent assurer le financement des initiatives de prévention, qui concernent autant les services sociaux que les groupes communautaires, les centres pour femmes et les organismes axés sur la famille.»

Toute personne a le devoir de signaler à la Direction de la protection de la jeunesse les cas de maltraitance, rappelle-t-elle. Même si le développement et la sécurité des enfants qui font l’objet d’un signalement ne sont pas jugés compromis dans plusieurs des cas. «Il faut demeurer vigilant et se montrer sensible aux situations préoccupantes de ces jeunes et de leur famille pour éviter qu’elles se détériorent.»

La maltraitance peut être observée dans toutes les couches de la société; cependant, les signalements fondés sont davantage observés dans les quartiers pauvres, où la population a moins accès à des organismes d’aide. «C’est là qu’il faut concentrer nos efforts de prévention.»

Mathieu-Robert Sauvé

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